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Jean-Edouard Grésy
20 novembre 2018
Temps de lecture : 3 min

Arrestation de Carlos Ghosn : un partenariat de confiance en panne sèche

Carlos Ghosn, PDG du groupe Renault et président du conseil d’administration du groupe Nissan et de Mitsubishi, vient d’être arrêté à Tokyo dans le cadre d’une enquête pour fraude fiscale et abus de bien sociaux. Quelles sont les enjeux d’une telle actualité ? Décryptage par l’œil expert de Jean-Édouard Grésy, anthropologue et spécialiste du don.    

Quelle est ta lecture de ce fait d’actualité ?

Pour comprendre les enjeux de cette arrestation, il est important de repartir à l’origine de ce partenariat historique entre Renault et Nissan, qui a débuté dans une logique de don exemplaire.

Au début de l’année 1998, Renault cherche à développer une stratégie de croissance externe et prospecte Nissan, qui est à la recherche d’un partenaire européen. En juin 1998, le groupe allemand Daimer-Chrysler approche aussi Nissan et entre donc en concurrence avec Renault. L’industriel français lance alors entre septembre et novembre l’Opération Pacifique, durant laquelle seront mises en place des équipes de travail conjointes afin d’évaluer le potentiel du partenariat. Il s’agit d’ « une période de dons ouverts dans la mesure où les Japonais restent passifs dans la relation. Ils reçoivent mais non seulement ils rendent peu mais encore, quand ils rendent, le retour n’est pas à la hauteur des dons effectués par les Français », écrit Olivier Masclef dans une étude de cas. On réalise alors que les résultats financiers de Nissan sont catastrophiques. Partant, Louis Schweitzer, Georges Douin et Carlos Ghosn se rendent au Japon dans le cadre de l’opération Big Picture pour livrer une analyse stratégique de haut niveau et offrir à Nissan les clés du redressement de Renault, qui avait connu une situation similaire par le passé.

En mars 1999, Daimer-Chrysler se retire et Renault reste seul en lice pour le rachat de Nissan. En position de pouvoir, les dirigeants de Renault auraient pu durcir leurs conditions, mais il n’en n’est rien : afin d’initier un partenariat équilibré dans la durée, les éléments du contrat restent inchangés.

Quelles problématiques cela soulève-t-il ?

À l’origine de l’alliance Renault/Nissan, Carlos Ghosn et ses homologues ont créé les conditions d’un partenariat durable, fondé sur la logique du don et du contre-don. En ne faisant pas « perdre la face » à Nissan, celui qui deviendra le PDG du constructeur nippon entre 2001 et 2017 est devenu une « star » au Japon en entretenant une relation de confiance qui s’est installée dans le temps… Et qui s’est concrétisée dans les faits avec le redressement de Nissan.

La confiance est inconditionnelle et le réveil est d’autant plus brutal au pays du Soleil levant qui découvre que leur idole aurait dissimulé sur cinq ans près de 44 millions de dollars au fisc japonais. La relation bascule immédiatement dans la défiance généralisée. Ce d’autant que payer ses impôts, c’est certes une question d’obligation légale, mais aussi une manière de rendre une partie des largesses que la vie nous a donné pour le bien commun. En un instant, son image de généreux donateur s’est transformée en celle d’avaricieux preneur !

confiance

En quoi cela interpelle le monde de l’entreprise ?

Cela révèle une fois encore que le don est central dans la création de nos liens aussi bien avec nos collègues qu’avec nos partenaires commerciaux. Cela ne se décrète pas et s’entretient non seulement par la densification des dons et des contre-dons mais aussi par la capacité de dissiper les malentendus ou les maldonnes. On parle de plus en plus à ce sujet de capital immatériel.

La difficulté dans cette histoire est renforcée par le fait que cette relation s’est construite sur un mode visiblement intuitu personae, ce qui donne à s’interroger : maintenant que la confiance est érodée à la suite des récents évènements, qui pourrait bien maintenir un tel partenariat ? Comme le dit ce proverbe africain, « tout seul on va plus vite, à plusieurs, on va plus loin ». Rien n’est plus important que de partager collectivement dans une entreprise, les partenariats noués et de faire en sorte que personne ne soit au-dessus des lois.

Jean-Édouard Grésy

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