Sarah Bessat Charlotte Ringrave
Sarah Bessat
Sarah Bessat
Charlotte Ringrave
Charlotte Ringrave
Les auteurs.es
17 juillet 2017
Temps de lecture : 7 min

Les emojis pourraient-ils être le reflet exact de notre société ?

Tout commence à la fin des années 90 quand l’opérateur téléphonique japonais NTT DoCoMo réalise que ses utilisateurs envoient de plus en plus de photos dans leurs SMS, consommant énormément de données. Pour pallier à ce phénomène, l’entreprise développe l’emoji qui transforme l’émoticône (représentation faciale réalisée à l’aide de ponctuation) en image, permettant ainsi l’économie de data et de caractères dans les messages.

Depuis 2010, le langage Unicode Standard a intégré les emojis, offrant à ces petites images un développement fulgurant, accentué par Apple qui en 2011 les intègre à l’ensemble des ses appareils.

L’année 2015 marque l’avènement de l’utilisation des emojis non seulement par les jeunes générations (digital natives & millenials) mais aussi par les générations moins expérimentées. Aujourd’hui, plus de 6 milliards d’emojis sont partagés chaque jour, 50 % des textes postés sur Instagram contiennent des emojis (contre seulement 10% il y a 4 ans) et plus de 9 personnes sur 10 les utilisent dans le monde[2].

Cet engouement mondial a conduit notre société à structurer l’offre d’emojis. Désormais, un Consortium International de validation se réunit chaque année pour définir puis valider les nouvelles petites frimousses. Il existe à ce jour 2666 emojis officiels, tous répertoriés et décryptés dans le dictionnaire de l’Emoji « Emojipedia » créée par Jeremy Burge, un australien également à l’initiative du « World Emoji Day » qui a lieu le 17 juillet de chaque année.

LA FOLIE EMOJIS DU XXIe SIECLE

Mais la folie emojis ne s’arrête pas là et sort de son cadre digital initial. En effet, si les images remplacent depuis longtemps certains mots dans nos conversations numériques, elles s’immiscent maintenant dans des situations bien plus classiques, prouvant que les emojis ne sont plus un phénomène de mode mais bien un phénomène social.

En 2013, l’auteur chinois Xu Bing propose « une histoire sans mots », le premier livre entièrement rédigé en emojis. Ces derniers infiltrent même les communications officielles lorsqu’en 2015, le quotidien anglo-saxon Le « Guardian », propose à ses lecteurs le discours annuel de Barack Obama traduit uniquement avec les petits pictogrammes ou qu’Hillary Clinton décide d’interroger la Twittosphère sur le sujet des prêts étudiants en sollicitant une réponse « en 3 emojis maximum ».

Ils sont partout, jusque sur les pancartes des activistes écologistes lors de la « People’s Climate March » à Londres en 2015. Plus forts que des mots, ils remplacent les slogans classiques des manifestations.

Enfin, le très sérieux Oxford Dictionnary proclame la même année, son « mot de l’année », celui sensé représenter le mieux l’humeur et les préoccupations du moment. Si ce mot aurait dû par définition être un mot, c’est l’emoji « Face with tears of joy » (Visage avec des larmes de rires) qui a pourtant été choisi, malgré les innombrables débats engendrés.

Au fur et à mesure des années, le phénomène emojis est donc devenu un phénomène mondial et intergénérationnel, provocant un bouleversement sans précédent dans notre façon de communiquer : ils remettent en cause notre alphabet traditionnel, rendant la communication plus rapide, plus visuelle et quasi-universelle.

Alors pourquoi cet engouement ? Et si, dans le monde numérique, les emojis étaient devenus dans le virtuel, aussi important que le sourire et le ton de la voix dans le réel ? Peut-on considérer qu’ils soient la part non-verbale de notre communication digitale?

LE NEW AGE DE LA COMMUNICATION EMOTIONNELLE

Mode de communication privilégié des générations Y et Z, les emojis tendent à révolutionner tout notre système relationnel et deviennent de plus en plus intergénérationnels.

Avec l’avènement de « l’instantanéité » et du « Tout. Tout de suite », les emojis répondent à un vrai besoin de communication « express ». Une expo cet après-midi ? Vous répondez un pouce levé, un emoji heureux et un emoji « intello » et le tour est joué… en 5 secondes ! Et cette réponse présente un enthousiasme bien plus important que l’aurait été un simple « ok » ou « oui ».

Aussi, tout le monde s’accorde à dire que l’utilisation des emojis, outre l’efficacité des réponses qu’ils permettent, ont pour fonction première de faire passer des émotions.  Cette dimension émotionnelle revêt un intérêt majeur à l’ère du numérique alors que les gens se voient de moins en moins.

Les emojis seraient même devenus l’équivalent du langage non-verbal dans notre réalité en mettant un visage sur nos ressentis, se rapprochant ainsi davantage d’une conversation en face à face. Perçus comme une richesse complémentaire à la langue française, ils viennent en complément de la ponctuation et ajoutent par exemple « l’ironie » non exprimée à l’oral, à certains de nos écrits. Il est donc admis aujourd’hui qu’un emoji « colère » a potentiellement plus d’impact qu’une simple onomatopée «grrr ».  Aussi, près de 72% des 18/25 ans indiquent avoir plus de facilité à exprimer leurs émotions à travers les emojis que par le texte[2].

Cependant, malgré leur utilisation quasi universelle, tous ces emojis ne sont pas utilisés par tous de la même façon. Ils portent une empreinte culturelle forte et leur interprétation est propre à la culture de chacun.

La culture est définie, par Chris Moore et Peter Woodrow, comme « le résultat cumulé d’expérience, de valeurs, de religion, de croyances, d’attitudes, de sens, de connaissance, d’organisations sociales, de procédures, de timing, de rôles, de relations spatiales, de conceptions de l’univers et des objets matériels et des possessions acquises ou créées par des groupes de personnes, au cours des générations, au travers d’efforts individuels et de groupes et d’interactions ».

Il y’aurait donc autant de significations pour un emoji qu’il y’a de diversité culturelle et de superpositions possibles d’appartenances parmi un nombre infini de critères : la région, la nationalité, les minorité, la religion, l’éducation, la génération, le genre, la famille…etc.

Partant de ce constat, il est indispensable de penser l’utilisation des emojis dans un contexte culturel précis et notamment dans la sphère professionnelle.

En effet, les emojis deviennent un instrument du familier qui s’immisce au travail, allant parfois de pair avec des frontières entre vie personnelle et vie professionnelle de plus en plus poreuses, dans lesquelles il est parfois difficile de reconnaître ses collègues, ses clients ou fournisseurs de ses amis.

Quelles sont donc les attitudes à adopter concernant l’utilisation des emojis ? Comment les intégrer ? Sont-ils utiles ? Quelles sont les limites ?

La première chose à respecter dans un contexte professionnel est avant tout la culture de votre entreprise : si personne ne les utilise, ne les utilisez pas. Mais si vos collègues le font, vous seriez presque obligés d’en faire autant car le risque, en ne les utilisant pas, pourrait être que vos messages soit perçus comme secs, voire hautains.

Dans le cas où votre contexte professionnel les autoriserait, priorité aux smileys positifs. à ceux qui sourient J, pour renforcer un remerciement, un compliment ou pour faire passer plus facilement une plainte. En effet, les emojis négatifs sont très peu utilisés au travail. Lorsqu’ils le sont c’est souvent pour exprimer de l’empathie, jamais de la colère ou de l’ironie. Enfin, restez vigilants et n’abusez pas des emojis, vos mails professionnels ne doivent pas devenir des messages codés !

LES EMOJIS DE LA DIVERSITE

Du latin diversus pour divers, contradictoire, différent, la diversité est l’état, le caractère de ce qui est varié. Appliquée à un groupe d’humain, la diversité correspond à la variété des profils individuels qu’on y trouve en termes d’origine géographique, de catégories socio-professionnelles, de culture, de religion, de coutumes, d’âges, de sexe, de niveau d’études, d’orientation sexuelle, d’apparence physique…

Initialement créés au Japon, les emojis sont très clairs ou jaunes mais en Avril 2015, Apple alors accusé de manque de diversité ethnique dans les emojis proposés, met à disposition plus de profils ethniques, d’orientations sexuelles, et de modèles familiaux.

Des problématiques d’inégalités des genres sont également soulevées. Les femmes ont le sentiment d’être mal représentées alors même que celles-ci représentent 56 % des utilisateurs les plus fréquents de messageries instantanées.

En mars 2016 par exemple, ALWAYS réclame des emojis féminins moins stéréotypés en lançant sa campagne #LikeAGirl #Unstoppable mettant en évidence une volonté de renouveler la représentation des femmes à travers les fameuses petites icônes.

Pour Google aussi, la bataille de l’égalité des genres passe par les emojis. Aussi, pour plus d’égalité Hommes-Femmes, le géant propose en mai 2016, au comité technique Unicode, de nouveaux emojis plus représentatifs des femmes dans le monde du travail. Parmi tous les nouveaux emojis proposés, 24 seront acceptés et 33 emojis existants seront déclinés dans une version féminine, permettant aux femmes de mieux se représenter le rôle qu’elles occupent dans des métiers encore trop connotés comme étant plutôt masculins (ex : Femme informaticienne, femme policier…).

Les dessins jaunes ont donc laissé la place à une multitude d’emojis issus de la diversité.

Nous ne pouvons que saluer l’idée, mais celle-ci pourrait aussi poser quelques problèmes : comment représenter toute la complexité de notre réalité sans générer des dizaines de milliers de dessins supplémentaires ? Une question posée par le site Emojipedia à propos des familles.

Actuellement il est possible de changer la couleur des emojis seuls, mais les familles sont bloquées au jaune. Pourquoi ? Pour ne pas encombrer le clavier IOS déjà bien impacté. En effet, du côté de Microsoft, qui a fait l’exercice de varier les couleurs de ses familles en prenant en compte toutes les possibilités, pas moins de 52 000 nouveaux emojis ont été ajoutés et ils sont encore loin de représenter toutes les possibilités puisqu’aujourd’hui une famille ne se limite plus au maximum à deux enfants et deux parents.

Notre société et l’ensemble de nos interactions sont bien trop complexes pour n’être résumées qu’à quelques dessins, le système d’emojis actuel n’est pas suffisant.

Mais au fond, est-ce si important ?

Les emojis ne devraient-ils pas se contenter d’illustrer une idée, un concept afin de simplifier la communication ou doivent ils refléter exactement notre réalité et devenir un langage à part entière?

Sarah Bessat & Charlotte Ringrave


SOURCES / POUR ALLER + LOIN

[1]  SwiftKey Emoji Report 2015 – https://fr.scribd.com/doc/262594751/SwiftKey-Emoji-Report

[2] Plateforme Marketing Emogi – 2016 Emoji Report

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