Valentine Poisson
Valentine Poisson
12 janvier 2019
Temps de lecture : 6 min

Le roucisme : quand les roux font l’objet de stéréotypes capillotractés

En voyage en Chine, je visitais une réserve de pandas. Devant un enclos, j’en vis un tout seul, pas comme les autres : il était roux et blanc au lieu d’être noir et blanc. Le voyant grimper sur un arbre (les pandas sont très bons grimpeurs !) je le voyais atteindre les cimes pour regarder par-delà son parc, chez ses voisins deux autres congénères en train de gambader gaiement. Mon amie m’explique : « les pandas sont des êtres sociaux, ils ont besoin de jouer, d’être ensemble. Mais le problème, c’est que comme celui-ci est différent, les autres ne veulent pas jouer avec lui ». Juste parce qu’il est roux ?! Mais pourquoi cette discrimination capillaire ?

panda roux

L’effet « poil de carotte » : des stéréotypes sur les roux aux discriminations 

Un stéréotype est un ensemble d’informations et de croyances associées aux membres d’un groupe, quel qu’il soit. Les Maghrébins seraient ainsi machistes, les personnes handicapées en fauteuil roulant… Et les personnes rousses, à quoi sont-elles réduites dans l’imaginaire collectif au juste ?

C’est bien connu voyons : « les roux puent » ! Les autres caractéristiques assignées au groupe « population rousse » diffèrent en fonction du genre : alors que les hommes roux sont pensés laids avec un mauvais caractère, les femmes rousses sont imaginées comme des femmes fatales dangereuses. Le stéréotype s’ancre dans l’histoire pour lui donner une assise tenace : dans son ouvrage « La rousseur infamante, histoire littéraire d’un préjugé », l’historienne Valérie André explique ainsi qu’ « au XIXe siècle, certains médecins italiens n’hésitent pas à écrire que les femmes rousses portent en elles le syndrome de la prostitution »…

C’est une affaire de symbolique des couleurs : à l’époque où les ressorts de la génétique restent inconnus à l’humanité, on suppose que le fait d’arborer une chevelure de feu ne peut qu’être l’œuvre du Malin. Et bien sûr, que c’est une raison suffisante pour être envoyé au bûcher !

Si les personnes rousses n’ont aujourd’hui plus à craindre ce type de traitement, les préjugés qui leur collent à la peau continuent malgré tout de donner lieu à certaines formes de discriminations. « On se moque de mon enfant parce qu’il est roux : que faire ? », titre par exemple un article d’Élodie, auteure de l’excellent blog www.lavieenrousse.fr. Des brimades qui peuvent mener au drame : on se rappelle du suicide en 2013 de Mattéo, 13 ans, victime de harcèlement par ses camarades d’école.

De Poil de Carotte à Mérida : tour d’horizon des clichés véhiculés par la pop culture 

La pop culture influence les mentalités de notre société autant qu’elle les reflète. Comme pour les princesses Disney, on constate à la fois une évolution et une permanence de certaines croyances à l’égard des personnes rousses. Parmi les plus connues :

Poil de Carotte (1894), « Les roux sont des victimes » : Roman autobiographique de Jules Renard, Poil de Carotte raconte l’enfance d’un petit garçon qui a le malheur d’être né roux. La postérité du roman aura moins servi à sensibiliser sur la souffrance du garçon victime de stigmatisation capillaire qu’à stigmatiser au travers d’un surnom dépréciatif désormais largement répandu.

Ronald McDonald (1963) : « Les roux sont des clowns »… Et ils vont vous rendre obèses ! Véritable icône publicitaire, le célèbre clown de la grande chaîne de restauration rapide a marqué de nombreuses générations d’enfants à travers le monde. Inspiré de Bozo le clown, le porte-parole de McDonald a récemment rendu sa salopette jaune, à cause de son image désuète et de la psychose américaine sur les clowns maléfiques.

Laure Richis dans Le Parfum (1985), « les rousses ont une odeur particulière » : Le livre de Patrick Süskind vendu à plus de 20 millions d’exemplaires dans le monde et adapté au cinéma en 2006 raconte l’histoire de Grenouille, un anti-héros obsédé par l’odeur des vierges rousses. Il va  jusqu’à en tuer une bonne vingtaine afin de capturer leur fragrance envoûtante, dont celle de Laure Richis, la dernière de ses victimes. Si cette fois l’odeur attribuée aux personnes rousses est agréable au point de déclencher des orgies, on reste tout de même sur un ancrage olfactif et un stéréotype des femmes rousses désirables.

Ron Weasley dans Harry Potter (1997-2007) : « Les roux ont un complexe d’infériorité » : Qu’on se le dise, Ron Weasley a beau être le meilleur ami d’Harry Potter, il n’est la plupart du temps envisagé que comme un faire-valoir. Alors même qu’Harry n’aurait pas survécu le premier tome sans lui, le dernier fils Weasley est, tout au long de la saga, dépeint comme un grand complexé et parfois même, comme un raté : il est pauvre, mauvais élève, il n’a pas capté que son rat domestique n’en était pas un et pique des crises de jalousie dès qu’Hermione est trop proche d’un autre garçon… Bref, on l’aime bien mais on le reconnait difficilement pour ce qu’il est : un héros.

Rose DeWitt Bukater dans Titanic (1997) : « Les rousses sont des femmes (littéralement) fatales » : Dans le mélodrame romantique de James Cameron, la belle et riche et rousse (teintée !) Rose a fait chavirer le cœur de Leonardo Di Caprio… et le nôtre ! En mal de liberté et lasse des mondanités de son milieu bourgeois, qui d’autre qu’un passager de troisième classe pour mettre son cœur en émoi ? On se souviendra notamment de la célèbre scène du portrait dessiné par son amant, où elle ne pouvait être que nue avec un gros diamant (histoire d’alimenter les fantasmes).

Mérida dans Rebelle (2012), « Les rousses sont rebelles » : il en aura fallu du temps à Disney/Pixar pour nous proposer enfin une héroïne rousse… Et pas n’importe laquelle ! La princesse Mérida est à l’image de son abondante chevelure, indisciplinée. Véritable garçon manqué, elle est aussi courageuse, intrépide et douée avec un arc : autant d’arguments qui cassent les codes de la princesse inatteignable, même si elle entretient l’idée d’une rousseur naturalisant un caractère sauvage.

Et la lutte contre le roucisme continue !

Si l’on parle bien de « roucisme » pour qualifier la discrimination anti-roux c’est, comme l’explique Valérie André, « qu’à la différence du racisme, il n’y a pas d’ethnie rousse ou de groupe ethnique correspondant à cette singularité ». Et si la guerre n’est pas encore gagnée, quelques victoires ont tout de même été remportées en 2018 :

  • On se réjouit par exemple de constater la levée de boucliers occasionnée par l’agression simulée dans le métro à l’encontre d’une personne rousse dans un épisode de Cam Clash (l’émission en caméra cachée qui vise à dénoncer les discriminations en testant les réactions de passants témoins) diffusé en avril ;
  • Ou encore de la tenue en août dernier du Red Love Festival, « le festival pour les rousses et les roux ouvert à tous » fondé par le photographe Pascal Sacleux qui fait écho au Rossitalia milanais et au Rouxssemblement québécois. À vos agendas : le 15 janvier 2019 Londres accueillera le Big Ginger Night Out, tandis que la seconde édition du Red Love Festival est déjà programmée au 24 août prochain ;
  • Enfin, à l’heure où les emojis se font le reflet de notre société, il aura fallu une pétition avec plus de 21 000 signatures et trois ans et demi d’attente pour voir débarquer en octobre 2018 des têtes rousses sur nos smartphones !

Comment rabrouer les roucistes

Née sur internet il y a quelques années, la Journée mondiale des roux est célébrée chaque 12 janvier. L’occasion de se sensibiliser à la question et de promouvoir la diversité capillaire. Mais comment réagir face à celles et ceux qui continuent, même inconsciemment, d’ostraciser cette population ? Quelques pistes :

« Tu es fatigué ? Pense à rou-piller ! » – Ah, la mauvaise blague qui n’assume pas son caractère discriminant ! On peut retoquer l’humoriste de service en lui expliquant que c’est réducteur et sans fondement. Et aussi que ce n’est pas la peine d’invoquer le politiquement correct (« aujourd’hui on ne peut plus rien dire ! ») quand on sait qu’une étude américaine de 2014 montre que, loin de brider l’esprit créatif, le fait de policer son langage (ici en veillant à éviter les propos sexistes) stimule au contraire l’émergence d’idée nouvelles !

« C’est pas une anomalie génétique ? » : C’est bien un trait génétique récessif qui cause une mutation du gène MC1R à l’origine des cheveux roux, mais il ne s’agit en rien d’une anomalie… À la différence des fossettes d’ailleurs ! Ce qui n’empêche pas certaines personnes de débourser entre 1500 et 1800 euros pour reproduire au bistouri cette malformation du grand zygomatique considérée comme très charmante.

« Mais les roux, ils sont quand même pas gâtés physiquement ! » – Face à cet argument, une petite énumération s’impose : Michael Fassbender, Danny Elfman, Ed Sheeran… Vous en voulez encore ? Michael C. Hall (l’acteur de Dexter), Ewan McGregor, le prince Harry… Autant d’exemples de roux célèbres dont le charme ne nous laisse pas indifférent·e·s !

Valentine Poisson

Photographie : Annie Spratt

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