Philippe Émont cristina Kuri
Philippe Émont
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cristina Kuri
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Les auteurs.es
4 octobre 2017
Temps de lecture : 7 min

La loi travail n’est pas une négociation (et elle ne se destinait pas à l’être !)

La rentrée est aux réformes. Pagaille ! Aussi naturellement, les médias coulent l’encre à cœur joie autour de la nouvelle loi Travail. Emmanuel Macron en avait annoncé la couleur dès sa campagne : lui président, il réformerait notre fameux Code, et dans un souci de rapidité, procèderait par voie d’ordonnances[1].

Certains y ont vu les prémices d’une remise en cause de l’équilibre démocratique, tandis que d’autres ont accueilli avec curiosité cette formule inédite. Afin de garantir la neutralité politique qui nous est chère, nous ne nous prononcerons pas ici sur la méthode choisie, ni ne nous attarderons sur le contenu de ces ordonnances. En revanche, il demeure selon nous un véritable sujet sur l’approche même du dialogue social « à la Macron ». La mise en marche du changement n’est pas une mince affaire, et lorsqu’ici la façon de faire change, pour beaucoup tout se mélange.

Comme le souligne Jean-Christophe Cambadélis, ex chef de file du Parti socialiste : « la question du Code du Travail devrait être discutée. On ne peut pas passer en force sur les questions économiques et sociales. Ce n’est pas possible. Notre pays est un pays de discussion, d’échange, et on ne peut pas passer en force[2] ». Et il a bien raison !

Mais qu’entendait-il au juste par « discussion » ? S’attendait-il à ce que le nouveau Code du Travail soit co-construit ? C’est bien là que le bât blesse en matière de dialogue social en France. S’agissant des réformes économiques et sociales, les loupés entre gouvernement et organisations syndicales sont malheureusement légion depuis plus d’une décennie : réformes des retraites en 2003, CPE en 2006, loi El Khomri en 2016 … Ces échecs sont en grande partie imputables à l’opacité et à la piètre compréhension de la nature des « discussions » entre nos dirigeants et nos partenaires sociaux.

Si certains continuent de s’insurger à l’égard d’un « dialogue social pipé d’avance[3] », il nous semble que cela tient surtout d’une incompréhension flagrante sur les ressorts dudit dialogue. Lorsque l’on lit Le Monde titrer « Loi travail : syndicats et patrons circonspects à l’issue des négociations » à la date du 26 août, notre sang ne fait qu’un tour. De fait, il n’a jamais été question de négociation !

C’est une simple question de méthode. En matière de dialogue social, le gouvernement dispose d’une palette de quatre « outils » pour associer les partenaires sociaux à ses projets de réforme : l’information, la consultation, la concertation et la négociation.

– Une information est une communication descendante, qui consiste à faire savoir quelque chose à quelqu’un. Par exemple : « Chéri, nous déjeunons chez mes parents ce week-end ». Que la personne en face de nous soit d’accord ou non sur cette déclaration importe peu, nous la tenons simplement informée de ce fait.

– Une consultation consiste à expliquer à notre interlocuteur ce que l’on a envisagé, et surtout à lui demander son avis. « Chéri, nous déjeunons chez mes parents ce weeken-end, qu’en penses-tu ?». Celui qui initie la consultation n’est cependant pas tenu d’intégrer l’avis (positif ou négatif) de son interlocuteur dans sa réflexion, puisqu’il reste ultimement décisionnaire. Lorsque l’avis est contraire à la volonté initiale du « consulteur », la consultation devrait selon nous (ce qui est préférable pour la paix des ménages) déboucher sur une concertation, voire sur une négociation.

– Ainsi, dans une concertation, il s’agit de tenir un débat approfondi entre les acteurs. La personne qui initie une concertation (le gouvernement dans le cas de la loi Travail) s’engage alors à écouter ses interlocuteurs et à réfléchir ensemble sur la meilleure façon de faire, ce qui devrait logiquement amener quelques évolutions par rapport au projet initial. Cependant, si une concertation traduit la volonté de co-construire un projet, avec un niveau de participation plus élevé qu’une simple information ou qu’une consultation, celui qui lance la concertation reste une nouvelle fois l’ultime décisionnaire de l’issue à donner.

– Enfin, celui qui initie une vraie négociation avec son interlocuteur accepte de lui donner une part de son pouvoir de décision. Nous définissons ainsi la négociation comme un mode de prise de décision conjointe dans lequel l’on accepte la possibilité que la décision finale ne soit pas la « mienne », ni la « sienne », mais la « nôtre ». C’est en définitive le seul cas de figure dans lequel on s’engage à co-construire. La responsabilité de la décision prise est alors partagée entre les acteurs en présence.

Ainsi, un gouvernement élu ne négocie jamais la promulgation d’une loi, comme les dirigeants d’une entreprise ne négocient jamais leurs orientations stratégiques. Nombreux sont ceux qui, pensant que tout est négociable, croient pouvoir influer une décision, et se retrouvent finalement déçus que leur voix n’ait pas été prise en compte. En somme, en acceptant d’être consultés, les mal-avertis présument être en capacité de négocier. D’où la nécessité fondamentale de bien distinguer ce qui relève de la négociation, de ce qui n’en est pas une !

Revenons à notre réforme. Le cadre du dialogue social destiné à la border a été explicitement posé dans le programme du candidat Macron : le Code du Travail serait réformé par ordonnances. La méthode choisie était alors une INFORMATION, et par définition n’était pas soumise à discussion. Par la suite, le contenu des ordonnances a fait l’objet d’une CONCERTATION, dans laquelle l’ensemble des syndicats ont été invités à s’exprimer. Pendant près de deux mois (du 9 juin au 25 juillet), le gouvernement a reçu les 8 organisations syndicales et patronales six fois chacune, soit 48 rendez-vous en tout. Puis un autre round de réunions bilatérales a été organisé en août avec les partenaires sociaux pour leur présenter les premières orientations de la réforme. Pour autant, la décision finale revenait au gouvernement.

On peut légitimement ne pas être d’accord avec les « outils » choisis et estimer qu’un tel chantier aurait dû faire l’objet d’une NÉGOCIATION. Il nous apparaît pourtant que le choix de la concertation était adapté au contexte et aux enjeux de cette fameuse réforme à deux égards :

D’abord, parce qu’un projet concerté génère de l’adhésion et permet aux parties prenantes d’afficher des victoires auprès de leurs bases. On peut ainsi lire :

  • « Certaines mesures phares vont dans le sens défendu par la CFDT[4]», comme « l’hypothèse d’autoriser la négociation collective sans délégué syndical dans les entreprises de 50 à 300 salariés n’a pas résisté à la ferme opposition de la CFDT ».
  • « La commission exécutive » de FO « souligne le travail réalisé par la confédération depuis trois mois en application du réformisme militant, qui se traduit par l’obtention de certaines garanties et le blocage de nombreuses dispositions[5]»,
  • « Concernant les mesures relatives au licenciement, la CFTC se réjouit de l’augmentation annoncée des indemnités légales. Entendue sur le point, elle constate avec satisfaction que c’est le coût du licenciement en France qui est ainsi surenchérit ![6]»
  • « L’UNSA constate que plusieurs propositions maximalistes, contre lesquelles elle s’était élevée, ont été écartées[7]».

Deuxièmement, le gouvernement sera tenu pour seul et unique responsable des conséquences de la réforme aux yeux de la société, d’où l’intérêt que ce dernier conserve le pouvoir de la prise de décision finale dans son intégralité.

Pour résumer, nous pourrions reprendre les mots de la CFDT : « La concertation, (…) a été « loyale et sincère ». Elle a permis à la CFDT, mais aussi aux autres organisations syndicales qui ont joué le jeu de la concertation dans le dialogue social, de retoquer ou d’infléchir nombre de points qui étaient à l’origine dans les cartons du gouvernement ».

Selon François Hommeril, président de la CFE-CGC : « Sur la méthode, c’est assez conforme à ce que le gouvernement nous avait annoncé, dans le respect des codes de la concertation[8] ».  Car c’est peut-être bien là que le nouveau gouvernement élu s’illustre par son habileté à conduire le changement, indépendamment de ce qui s’en dégagera : ce dernier a été en effet très transparent sur la façon dont il allait intégrer les partenaires sociaux aux réflexions de la réforme.

À la lumière de cette analyse, nous constatons que la grande nouveauté du dialogue social « à la Macron » réside dans la clarté du processus mis en place. En affirmant clairement son refus de céder aux pressions de la rue tout en invitant les partenaires sociaux à poursuivre la dynamique de concertation, le nouveau président distingue explicitement ce qui est négociable (l’adaptation de certains principes de la réforme) de ce qui ne l’est pas (son retrait pur et simple). Le temps nous dira si la méthode choisie porte ses fruits. Puisse-t-elle paver la voie d’un dialogue social à même de générer l’adhésion des acteurs grâce à la clarté de ses processus.

 

Philippe Emont et Cristina Kuri


[1] Lejdd.fr, « Emmanuel Macron : « Moi président … » », 9 avril 2017

[2] Le Monde, « Code du travail : inquiétudes » et « questions sur la méthode » avant un premier rendez-vous mardi », 22 mai 2017.

[3] Ouest France, « Réforme du code du travail. Appel à la grève de la CGT pour le 12 septembre », 27/06/2017

[4] Cfdt.fr, Communiqué de presse « Ordonnances : une occasion manquée pour moderniser les relations de travail », 12/09/17

[5] FO Hebdo, « Déclaration de la commission exécutive confédérale », n°3250 du 6 au 12 septembre 2017

[6] https://www.cftc.fr, Communiqué de presse, 31/08/17

[7] http://www.unsa.org, Communiqué « Projets d’ordonnances : un pari gouvernemental à haut risque où les salariés doivent être davantage sécurisés », 31/08/17

[8] Le Parisien, « Le président de la CGC : Sur la loi Travail, on nous balade un peu », 27 juin 2017

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