Julia Domini
Julia Domini
27 mars 2019
Temps de lecture : 5 min

Mobilisation pour le climat : l’affaire (citoyenne) du siècle !

Samedi 23 mars 2019 la Marche du siècle rassemblait entre 145 000 (selon la police) et 350 000 (selon les organisateurs) personnes en France. Des blogs, posts et vidéos sur le zéro déchet et de DIY se multiplient, et les étudiants se mettent en grève : l’engagement citoyen pour défendre le climat semble partout ! Pourquoi ce pic de mobilisation ? Est-ce la peur face aux annonces d’effondrement de la collapsologie ou la volonté de créer un avenir meilleur pour les générations futures ?

Les alertes concernant le climat ont commencé dans les années 1960-70, avec notamment la publication du premier rapport du Club de Rome en 1974. Pendant ces 45 dernières années, les messages ont été multiples, allant du climato-scepticisme jusqu’au techno-optimisme. Ces discours ne sont donc pas récents : qu’est-ce qui a changé pour générer la mobilisation actuelle ?

Ces dernières années ont marqué un basculement. Les publications scientifiques se densifient et se font de plus en plus alarmistes, le dernier rapport du GIEC (Groupement d’expert Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) a tiré la sonnette d’alarme en annonçant le dépassement certain des +1,5°C prévu dans l’Accord de Paris de 2015 : tout cela appuie les annonces faites depuis plusieurs années par les collapsologues qui annoncent un effondrement prochain du système tel que nous le connaissons. Le sujet devient donc omniprésent dans les conversations et les médias.

C’est une première dans l’histoire de la planète : pollution croissante, démographie galopante (1 milliard d’individus en 1815, 7,7 aujourd’hui, projection à presque 10 milliards en 2050), production de déchets et besoins en énergie exponentiels… L’impact que fait peser l’espèce humaine sur le système-terre augmente tant qu’il pourrait mettre en péril la pérennité même de l’humanité, ou à minima le système tel qu’on le connaît actuellement.

Mais à quoi renvoie cette idée d’« effondrement » ? Yves Cochet, ancien ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement le définit comme « le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis (à un coût raisonnable) à une majorité de la population par des services encadrés par la loi »

L’enjeu est donc à la fois marqué par une notion d’urgence et de globalité : puisqu’ « il n’y a pas de Planète B » et que nous sommes toutes et tous dans le même bateau, la mobilisation doit donc se faire à l’échelle planétaire.

Le sursaut d’un instinct de conservation ?

En vingt ans, Internet a changé la donne : les échanges d’informations et de bonnes pratiques, la création de communautés qui se rassemblent autour de valeurs communes, le tout dans un temps extrêmement court, rendent possible une prise de conscience et une mobilisation rapide et croissante.

Les exemples de mobilisation ne manquent pas : le film Demain qui a suscité des milliers de prises de conscience, a connu un succès retentissant et a été diffusé partout dans le monde y compris à l’ONU. Les célébrités s’engagent de plus en plus pour la planète (Leonardo Di Caprio, Nathalie Portman, Mélanie Laurent, Marion Cotillard, youtubeurs, etc.), les « néo-ruraux », ces anciens jeunes cadres dynamiques surdiplômés, s’installent à la campagne pour monter des fermes en permaculture ou en bio, la grève des étudiants gagne toute l’Europe, la Marche du siècle réunit des centaines de milliers de personnes de tous bords politiques à travers le monde … L’engagement semble émerger partout : les formats et les messages sont variés, mais quels sont les mécanismes qui l’animent ?

D’une prise de conscience individuelle …

Tout d’abord la prise de conscience semble se faire assez égoïstement « c’est ma santé, ma survie, celle de mes enfants qui est en jeu » et amène à s’engager au quotidien pour un impact à échelle personnelle (manger bio, recycler, composter).

Cette prise de conscience de l’impact de chacun sur la planète commence souvent devant son écran : elle est largement relayée sur les réseaux sociaux qui jouent le rôle d’un catalyseur, les échanges entre pairs vont croissant, les vlogs et tutoriels de ceux qui ont passé le pas d’un « autre mode de vie, plus durable » se diffusent et font des émules. Les individus se sentent plus proches des conseils donnés par un tiers auquel ils peuvent s’identifier, qui leurs paraissent accessibles, et souvent à qui il peuvent directement poser des questions.  Car au-delà de l’envie de s’engager pour faire changer les choses, encore faut-il savoir comment le faire concrètement !

Les discours qui sont relayés sur Internet mettent en avant la responsabilité individuelle et invitent à suivre le fameux adage « soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » de Gandhi en optant pour une « sobriété heureuse » plus pérenne pour la planète. Ce faisant ils agrègent souvent la question du rapport à soi et du développement personnel à la question du rapport au monde : j’ai la capacité de changer ma vie, et donc celle de changer le monde.

… à un engagement collectif

Nos choix de consommation au quotidien impactent le mode de vie de populations et d’animaux au bout du monde : la prise de conscience s’élargit en cercles concentriques qui partent de soi en tant qu’individu jusqu’à atteindre la planète entière. Dans le même mouvement, l’impact de la mobilisation part de l’individu pour aller vers le collectif : c’est le rassemblement des volontés individuelles qui crée un mouvement collectif.

Cela amène à une deuxième prise de conscience : l’agrégat des actions individuelles représente un collectif dont l’impact est démultiplié. Par exemple, en pratiquant le slacktivisme (fait de signer des pétitions depuis son canapé), en un clic je participe à un mouvement dont l’ampleur peut être inattendue : la pétition de « l’affaire du siècle » a récolté en quelques jours plus de 2 millions de signatures, une première dans l’histoire des pétitions françaises !

Recréer un idéal de « vivre ensemble »

La collapsologie annonce l’effondrement de notre système dans les 10 à 30 prochaines années … Ces constats anxiogènes, la notion d’urgence, la peur de l’état du monde que nous allons laisser à nos enfants jouent un rôle majeur dans l’engagement croissant en faveur de l’environnement et du climat. Mais il y a au-delà un mouvement plus profond : les générations Y et Z, nées dans la période du « no future » et de la crise économique et écologique, font preuve de résilience et veulent faire basculer le système qu’on leur a légué pour faire le choix du « we are the future ». Après une période d’individualisme à outrance et d’hyper-consumérisme, les individus en perte de sens se rassemblent pour créer de nouveaux modèles auxquels croire. Ce mouvement semble donc partir des individus pour aller vers le collectif, voire jusqu’au global.

L’engagement autour du climat n’est donc pas seulement le sursaut d’un instinct de conservation, mais un mouvement collectif et positif de réappropriation du projet commun par les citoyens. L’objectif est de recréer un nouvel imaginaire collectif : un nouvel idéal de vivre-ensemble. Après un désenchantement du monde, ne serions-nous pas en train de changer de paradigme vers un réengagement du monde grâce à la mobilisation pour le climat ?

Julia Domini

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