Valentine Poisson
Valentine Poisson
12 juillet 2019
Temps de lecture : 5 min

Négociation : le cœur ou la raison ?

Le cœur a ses raisons que la raison… Autant tout ne peut pas se faire à l’instinct, autant la dimension humaine implique qu’on ne peut pas se contenter de froids calculs. Alors qui, du cœur ou de la raison, écouter en négociation ? Difficile équation !

La réponse paraîtra évidente : les deux mon capitaine ! En effet, pourquoi se priver ? On a en effet longtemps avancé l’hypothèse que certaines personnes étaient plus créatives en mobilisant leur « cerveau droit » tandis que d’autres seraient plus rationnelles grâce à leur « cerveau gauche ». Mais les neurosciences ont depuis mis en évidence qu’il n’existait en réalité aucune différence phénotypique de ce genre : nos deux hémisphères travaillent donc en étroite collaboration, notamment pour négocier. Et c’est tant mieux !

négociation

Le cœur : l’intelligence émotionnelle

La négociation est une science relationnelle. Pour passer maître es négociation, il est donc primordial de maîtriser la logique émotionnelle sous-tendue dans les rapports humains. Il convient donc de savoir reconnaître dans un premier temps les différentes émotions et la fonction biologique qu’elles remplissent :

  • La colère comme émotion naturelle de réparation face à la frustration, l’injustice et la blessure, qui offre l’énergie nécessaire pour agir et procure un sentiment de vigueur et de confiance ;
  • La peur comme émotion de la perception du danger, visant à l’autopréservation de notre être en nous aidant analyser la menace perçue pour réfléchir aux moyens d’y faire face ;
  • La tristesse comme l’émotion du deuil qui permet, comme l’explique Daniel Goleman, de « pleurer sa perte, réfléchir à sa signification et finalement effectuer les mises aux point psychologiques pour dresser de nouveaux plans qui permettront à la vie de continuer » ;
  • La joie comme émotion positive de la connexion et de la réussite. Cette dernière présente de multiples bénéfices : elle augmente la rentabilité de l’énergie, favorise l’audace face à l’aversion pour le risque, apporte un bonus de légèreté, crée un climat optimiste et rayonne auprès des autres.

Mobiliser les émotions en négociation, c’est d’abord les reconnaître et les gérer chez soi avant d’accueillir celle des autres. Pour se mettre en lien avec eux, un facteur clé de succès : l’empathie avec soi et avec l’autre. Déployée de manière adéquate, cette sensibilité est à même d’augmenter significativement la performance sociale, que ce soit en négociation ou en management. Une étude canadienne a ainsi démontré que les managers considérés comme « sensibles » par leurs équipes obtenaient de ces dernières un absentéisme presque divisé par deux !

La raison : l’intelligence rationnelle

Il va de soi qu’une négociation réussie ne peut pas se faire sans un minimum de stratégie. L’approche cognitive (qui renvoie à l’ensemble des processus d’acquisition de la connaissance) est ainsi particulièrement pertinente en négociation car elle conditionne nos perceptions, notre mémoire, notre manière de résoudre les problèmes et de prendre des décisions.

Pour reprendre la théorie Système 1 / Système 2 du Nobel d’économie Daniel Kahneman, la question à soulever en matière cognitive est : comment passer d’un schéma de pensée intuitif mais source d’erreurs à une pensée rationnelle, certes plus coûteuse en énergie, mais qui répond au besoin d’exactitude fondamentale en négociation ?

C’est un travail de longue haleine qui demande d’opérer quelques petits traitements rectificatifs, notamment :

Passer des présupposés aux faits :

Les présupposés correspondent aux valeurs ancrées au plus profond de nous, ils sont le fruit des apprentissages de notre vie et reflètent ce que nous tenons pour vrai. Ils portent cependant de nombreux schémas erronés, comme les stéréotypes, qui ont leur utilité mais ne sont pas toujours pertinents. Passer des présupposés aux faits demande donc une aptitude à la remise en question grâce au « bénéfice du doute ». En doutant de ses pensées toutes faites, le négociateur peut alors ancrer son jugement sur une base purement factuelle.

Passer des désirs aux options :

Ce retraitement vise à décortiquer la nature de nos positions pour aller chercher les enjeux sous-jacents qui les motivent. Dépasser les positions pour comprendre motivations sous-jacentes permet alors de faire émerger, avec un peu de créativité, la multiplicité des options de solutions qui permettent de satisfaire nos intérêts.

Exemple : lors des négociations de Camp David en 1978, Israël et l’Égypte veulent le Mont Sinaï. En bon médiateur, Jimmy Carter est allé chercher les véritables intérêts sous-jacents derrière cette position : il s’agissait d’intégrité territoriale pour l’Égypte (conquête rattachée au temps des pharaons) tandis qu’Israël était animée par la question de sa sécurité intérieure (pour se protéger des tirs d’obus frontaliers). Une fois ces motivations démêlées, on peut trouver un terrain d’entente, la restitution intégrale du Sinaï à l’Égypte en contrepartie d’une démilitarisation de la zone pour sécuriser Israël. Ainsi, si les positions sont antagonistes, les enjeux peuvent être différents et il est parfois possible de satisfaire les uns sans léser les autres !

Passer des intentions aux stratégies :

Nos intentions sont tellement évidentes pour nous, que l’on oublie parfois qu’elles ne le sont pas pour les autres ! Il suffit ainsi d’un mot pour déboucher sur une crise diplomatique là où on voulait simplement complimenter sa/son partenaire : « Tu es belle/beau, aujourd’hui ». « Comment ça, aujourd’hui ?!!! C’est donc que tu me trouves moche tous les autres jours !»

Pour passer de ses intentions subjectives à des stratégies objectives, il est important de se questionner sur la manière dont notre communication va effectivement impacter notre interlocuteur. Cela demande une dose d’empathie, ce qui d’ailleurs prouve bien que le cœur et la raison fonctionnent de concert en négociation.

En conclusion, voici la réponse à notre question :

Solution de l’équation : le cœur + la tête = la main

Invisibles, le cœur (siège de nos émotions) et la tête (domaine de nos pensées) ne sont ne sont donc que partiellement accessibles en négociation, à la manière de la partie immergée de l’iceberg. La seule dimension visible, c’est la main, c’est-à-dire la traduction comportementale de nos raisonnements affectifs et cognitifs. En d’autres termes, la déclinaison de nos intentions en actes observables. Alors, quels sont les comportements les plus porteurs en négociation ?

Pour Jean-Édouard Grésy, Julien Ohana et Ricardo Pérez Nückel, il y en a trois principaux. La curiosité d’abord, pour comprendre les enjeux sous-jacents de la négociation, grâce à la question du « pour quoi » ? La créativité ensuite, pour développer des pistes de solutions créatives par le « Et si… » ? La ténacité enfin, pour concrétiser l’accord obtenu en se concentrant notamment sur les trois dernières questions qui cadrent le closing d’une négociation réussie : « Qui s’en occupe ? », « Quand ? » et « Où ? ». Ces aptitudes sont particulièrement prégnantes chez les enfants. Ils nous bluffent souvent par leur agilité et leur capacité à suivre ces enseignements de Confucius : « conservez la tête froide, le cœur chaud et la main toujours ouverte » !

Valentine Poisson

Cet article est inspiré du livre « Comment les négociateurs réussissent » de Jean-Édouard Grésy, Julien Ohana & Ricardo Pérez Nückel, 2017.

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