Stéphane Thiriet Valentine Poisson
Stéphane Thiriet
Stéphane Thiriet
Valentine Poisson
Valentine Poisson
Les auteurs.es
17 janvier 2017
Temps de lecture : 7 min

Recruteur : un métier en voie d’évolution

Certains prophétisent que d’ici peu, la machine devrait remplacer l’homme, et notamment le recruteur. L’annonce paraît bien anxiogène pour la population RH : serait-elle amenée à disparaître au profit des algorithmes et du Big data ? Nous avons du mal à croire à cette prédiction … En effet, s’il convient de constater que le métier est en instance de très fortes évolutions, à la faveur de la révolution numérique caractérisant notre ère de l’information, nous ne croyons pour autant pas à son extinction.

Le fondement de la prophétie : le prédictif, en avant toute vers le futur …

On peut lire dans La révolution du Big Data que « l’ère numérique est caractérisée par la croissance exponentielle de la création de données digitales. Mais, c’est bien plus qu’« une question de zéro et de un », comme le souligne Peter Sondergaard, directeur de la recherche du Gartner. C’est une transformation radicale de nos métiers, de nos usages, de nos façons de vivre, de consommer, de nous comporter en société. ». Le Big Data, et tout ce qui va avec, vise à « promouvoir l’accès, le développement et l’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans les domaines économique et social », et constitue de la sorte une opportunité sans pareille de création de valeur pour l’entreprise, et pour les hommes qui la portent.

La révolution digitale est déjà en marche dans l’univers du recrutement, et se repose donc sur le Big Data, et sur la puissance de traitement automatisée des algorithmes, qui ont donné lieu à la mode du prédictif que nous évoquions dans un précédent billet. Il existe d’ores et déjà diverses formes de déclinaisons de cette conception prédictive appliquée au recrutement : certaines entreprises se basent sur des tests destinés à éprouver la personnalité, les aptitudes ou le savoir-être du candidat, lorsque d’autres se concentrent davantage sur l’analyse des données disponibles sur le web, et notamment sur les réseaux sociaux.

La méthode est éprouvée, et se révèle indiscutable à de nombreux égards : en termes de sourcing par exemple, il ne fait pas de doute que l’ordinateur a vocation à remplacer l’homme. De par sa vélocité à traiter un volume démentiel de données variées, le robot apparaît bien plus qualifié que son créateur. Mais à ses débuts l’outil demeure imparfait, et surtout, ne semble pour le moment pas prétendre surpasser le recruteur sur tous les fronts de ses diverses missions.

Pourquoi le métier de recruteur a encore de beaux jours devant lui

Un automate encore bien peu intelligent

Comme l’exprime Saad Zniber, co-fondateur de Yatedo, « les modèles prédictifs ou les usages RH des Big Data sont loin d’avoir révélé tout leur potentiel ». Sans condamner la pertinence de l’utilisation des robots à des fins de recrutement, il convient de constater que ces derniers souffrent encore de nombreux écueils, hautement préjudiciables pour la tâche qui leur est confiée.

Une première critique des modèles prédictifs reposait sur le principe de reproduction de modèles existants, ce qui renvoie à un défaut de justice pour les individus discriminés, et à un manque à gagner pour les entreprises qui se privent de la sorte de la richesse économique et sociale qu’offre la diversité des profils. En citant à nouveau Saad Zniber : « Les apôtres du recrutement prédictif utilisent des modèles assez douteux. (…) Ils ne font que répéter les bon vieux usages (…). Au final, la stratégie de recrutement est celle du clonage et des préjugés ». Bien sûr, les porte-étendards de ces solutions « venues du futur » s’en défendent, invoquant « un recensement plus équitable en s’appuyant uniquement sur les facteurs dont le lien avec la performance ultérieure (dans le poste pour lequel on recrute) a été établi ». Cela signifierait donc que « désormais, c’est sur leurs aptitudes, leurs motivations réelles et leur personnalité que les candidats sont sélectionnés ».

Mais comment statuer sur l’objectivité des données récoltées par ces systèmes d’information ? L’ordinateur et ses puissants algorithmes sont-ils réellement à même d’évaluer avec exactitude la motivation des candidats, ou ne serait-ce que leurs potentiels, lorsque ces mêmes données se fondent sur un principe déclaratif ?

Il est primordial de réaliser qu’en dépit de leur impressionnant volume, les informations traitées par les modèles prédictifs n’en demeurent pas moins biaisées. En effet, qu’il s’agisse de tests, de CVs, et plus encore de toute la data collectée sur le Web via les réseaux sociaux, le principe du déclaratif prévaut, incitant les candidats à enjoliver leur réalité, quitte à induire en erreur l’analyse de nos supers ordinateurs.

Diverses études annoncent régulièrement un pourcentage étonnant de CVs « revalorisés » : ainsi, en 2013, ils ne seraient pas moins de 75% à pêcher d’inexactitude. Face à la représentation d’une compétition exacerbée sur le marché de l’emploi, beaucoup n’hésitent pas à adapter leur résumé par rapport au poste convoité, dans le but de présenter une « belle vitrine ». Cela passe par l’exagération des responsabilités exercées, l’allongement de la durée de certaines missions pour masquer des périodes d’inactivité, l’invention de passions valorisantes, jusqu’au mensonge concernant l’obtention de diplômes. Les exemples de cas retentissants ne manquent pas, et illustrent une massive tendance de fond : on songe notamment au MBA d’HEC de Rachida Dati qu’elle n’a pas validé (2007), à Jean-Philippe Gaillard qui s’est prévalu d’une fausse formation de pilote de ligne pour être recruté en 2011 au poste de directeur de l’aéroport de Limoges, à Scott Thomson, promu directeur général de Yahoo en 2012 après s’être inventé un diplôme de comptabilité, ou encore au scandale qui a affecté en 2013 le grand rabbin de France Gilles Bernheim lorsque ce dernier a reconnu être l’auteur de plusieurs plagiats, et d’avoir menti sur son agrégation de philosophie.

Face à cette coutume de « maquillage » de la réalité, les réseaux sociaux ne sont pas en reste. « Depuis l’arrivée de Facebook et d’Instagram, j’ai compris que tout le monde ne montre de sa vie que ce qu’il veut bien », écrit Nathanaël Rouas, dans son livre Le bomeur : une vie de bobo chômeur, où il portrait notre société contemporaine à travers les yeux d’un bobo qui essaie de rester « cool » en dépit de son statut de chômeur.

De fait, les réseaux sociaux sont un espace dans lequel nous créons et contrôlons ce que nous voulons révéler de nous-mêmes. Nous façonnons de la sorte notre identité virtuelle, traduction idéalisée de notre vie réelle. A la manière des filtres proposés pour donner du cachet à nos photographies et dont les internautes sont friands, les informations que nous disséminons sur le Web sont destinées à notre valorisation. Symptôme d’une société virtuelle narcissique en quête de reconnaissance, dont les préoccupations philosophiques ne doivent pas occulter une considération pratique pour le recrutement : l’exhaustivité et l’objectivité ne sont pas encore au rendez-vous 2.0.

Objectif qualité

Ceci viendra peut-être lorsqu’émergera de nos lignes de codes une véritable intelligence artificielle, c’est-à-dire lorsque l’ordinateur sera à même de porter une réflexion « humaine ». En attendant, le précieux instinct objectivé des recruteurs, issu de leur richesse proprement humaine, ne paraît pas menacé.

Si les CEO des entreprises prédictives attaquent cet argumentaire qui consiste à revaloriser l’humain, qualifiant ceux qui le portent de « recruteurs confiants / arrogants / mégalos / inconscients de la révolution qui est en train de se passer … ^^ », il nous semble que pour le moment, les capacités réflexives et relationnelles du recruteur lui permettent encore de prétendre mieux savoir porter un jugement à l’embauche, dans le cadre d’une démarche qualitative.

Nous considérons la révolution du Big data et ses nombreuses utilisations comme l’opportunité de redéfinir et de revaloriser la fonction RH. Celle-ci souffre aujourd’hui d’une acception trop administrative, bureaucratique et déshumanisée. Affecté à l’administration du personnel, aux paies ou encore à la maintenance du système d’information, le RH n’a plus le loisir de se consacrer à son cœur de métier : la gestion des compétences et des talents. Ceci entraîne une perte de sens pour la profession, et pour les salariés dont elle a la charge, qui s’interrogent : « Mais que font les ressources humaines ? A quoi servent-elles ? ».

En déléguant à l’ordinateur et à ses puissants algorithmes toutes les tâches « rébarbatives » et quantitatives qui ne nécessitent pas de compétence humaine, à l’instar des missions précitées, du sourcing, ou de la gestion des CVthèques, le recruteur pourra enfin consacrer la dimension relationnelle de son métier, et proposer à ses candidats et salariés un véritable accompagnement de proximité.

Le recrutement au cœur de la « guerre » des talents

Ces nouveaux « agents de carrière », dont certaines tâches seront simplifiées grâce à leur automatisation, pourront alors s’adonner à la relation dans l’optique d’une prise de décision et d’une satisfaction optimisée pour l’ensemble des acteurs.

Avec un tel regain de temps pour la gestion relationnelle, la profession RH sera plus à même de maintenir une cohésion sociale au sein de l’organisation, en canalisant les tensions (entre individus ou entre ses différentes entités) et en accompagnant les changements, évitant de la sorte les importants coûts économiques et sociaux du conflit.

En termes de recrutement, l’entreprise comme le candidat sont également bénéficiaires de cette évolution de la configuration des ressources humaines. En effet, la fonction RH se retrouve au cœur de la guerre des talents. Ceci se traduit concrètement par une nette tendance de l’entreprise à attacher de plus en plus d’importance au développement de sa marque employeur, ce qui passe notamment par le bien-être du candidat.

Celui-ci est devenu lui aussi mobile et social, au sens de connecté, digitalisé. La visibilité offerte par les réseaux sociaux constitue pour lui une tribune qui lui permet de valoriser son entreprise … ou au contraire de la discréditer. Ceci explique que le domaine du recrutement, loin d’être condamné, est en proie à un véritable intérêt de la part des marketeurs et pourrait donc même se retrouver renforcé à l’avenir. Puisque les candidats identifiés comme « talents » sont ardemment convoités par les organisations et ont un pouvoir sur ces dernières grâce à leur rareté relative et à leur voix digitalisée, ils tendent à attendre de plus en plus à être pris en charge. Ce que permet la relation de proximité entre le recruteur et son talentueux candidat, et la dimension humaine qui la caractérise.

En somme, le collaborateur qui ressent une réelle implication de l’entreprise concernant la valorisation de son parcours aura tendance à s’investir par effet miroir, mais aussi à propager la bonne opinion de l’organisation qui le prend en mains. Ceci participe au développement de la marque employeur, et constitue de la sorte un enjeu stratégique que l’on « prédit » de plus en plus déterminant pour l’entreprise…

Le recruteur, s’il sait faire preuve d’agilité en s’adaptant aux évolutions inhérentes à son métier, peut en définitive dormir sur ses deux oreilles. La transformation digitale n’est pas une menace, et lui offre au contraire la perspective de missions plus alléchantes, comme l’accompagnement des évolutions du marché, des nouvelles technologies, de la stratégie de son organisation … et surtout de ses candidats !

Stéphane Thiriet & Valentine Poisson

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