Anaïs Koopman Pierre-Yves Goarant
Anaïs Koopman
Anaïs Koopman
Pierre-Yves Goarant
Pierre-Yves Goarant
Les auteurs.es
14 octobre 2021
Temps de lecture : 4 min

Le pouvoir du dialogue social : 7 exemples d’évolutions concrêtes au fil de l’histoire

Le dialogue social, en phase avec l’évolution de la société ? Presque, à quelques années près. C’est ce que l’on constate, avec Pierre-Yves Goarant, Senior Manager chez AlterNego : bien souvent, le code du travail se transforme à la suite de changements sociétaux, eux-mêmes couramment influencés par le monde de l’entreprise… Concrètement, les organisations sont souvent en avance sur la société, notamment sur des sujets tels que l’égalité professionnelle, ou encore la lutte contre le harcèlement : les organisations syndicales sont impliquées depuis des dizaines d’années dans ces domaines, alors que la société et le code du travail mettent (un peu) plus de temps à réagir. Lors de la vague #metoo par exemple, les entreprises ont très vite réagi au sujet du harcèlement au travail, en implantant des référents sexistes en leur sein dès 2019. En d’autres mots, l’entreprise fait souvent office de laboratoire d’essai, avant que certains changements soient opérés à une échelle plus grande : celle de la société toute entière. C’est également ainsi qu’au fil des siècles, la liberté individuelle est devenue une liberté collective. Retour sur l’évolution du dialogue social et du fait syndical en France, en sept dates clés.

1791 : la loi Le Chapelier, ou la loi Post-révolutionnaire interdit toute association professionnelle

A la fin du 18ème siècle, pas question de se rassembler et encore moins autour d’un métier ou d’une corporation. Autrement dit, à cette époque, la France ne connaît ni grève, ni association syndicale. C’est l’anéantissement des corps intermédiaires. Aucun corps social n’est regroupé en ‘association si ce n’est une exception : les médecins.Ces derniers sont en effet présents dans le personnel politique parlementaire et gouvernemental depuis la monarchie de Juillet et jusqu’à la IIIe République. Ils bénéficient d’une autorisation  pour faire pression en faveur d’une politique hygiéniste. Le syndicalisme des médecins , organisé en tant que tel dès la fin des années 1870, sera pourtant illégal.

1884 : la loi Waldeck-Rousseau autorise les organisations syndicales

Un siècle plus tard, c’est déjà l’ère pré-industrielle en France. Napoléon III réalise que dans plusieurs pays voisins, les travailleurs ont le droit de s’organiser autour d’associations professionnelles. C’est notamment le cas en Grande-Bretagne. Ni une ni deux, Napoléon III envoie, en 1862,  200 ouvriers sur l’île pour espionner les entreprises anglaises et s’inspirer de leurs organisations syndicales. C’est à ce moment-là qu’il prend conscience de l’importance d’autoriser les ouvriers à se regrouper et à s’organiser entre eux afin de de mettre en lumière des problématiques sociales jusqu’alors inconnues ou ignorées. Napoléon III décide de faire de même en France, à travers la loi Waldeck-Rousseau (Ministre de l’intérieur de l’époque) qui autorise les syndicats en France. En 1895, la première organisation syndicale de France voit le jour : c’est la  CGT (Confédération Générale du Travail). 

1936, ou l’avènement des Délégués du Personnel (DP)

Avant 1936, les salariés syndiqués le sont auprès de la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) ou encore de la CGT et ce, sans être représentés au sein de leur entreprise. De plus, il sont souvent en proie à des conditions de travail particulièrement rudes (voir « Les temps modernes » de Charlie Chaplin, par exemple). C’est donc dans les années 30, au moment où de nombreuses révolutions surviennent dans le code du travail – avec notamment les premiers congés payés en 1936 -, que des revendications sur les conditions de travail dans les entreprises sont de plus en plus nombreuses et courantes. Ces dernières peuvent désormais être remontées des employés à la direction, grâce aux délégués du personnel mis en place par le Front Populaire via les accords de Matignon en 1936.

1946 : la création des Comités d’Entreprise (CE)

En cette période d’après-guerre, se pose la question de fédérer les salariés autour de la reconstruction d’un pays abîmé. Cela passe notamment par la représentation collective en entreprise : on implique le personnel dans les consultations, les concertations, sociales et économiques. 

1968 : suite aux grèves de mai 68, on signe les Accords de Grenelle 

Désormais, les syndicats peuvent s’implanter dans les entreprises : on prévoit pour ce faire des sections syndicales dans les entreprises concernées, ainsi que des délégués syndicaux. Concrètement, les délégués du personnel font remonter diverses demandes auprès de la direction, tandis que les délégués syndicaux interviennent dans la construction d’accords suite aux négociations. Avant cette date, il était impossible de signer des accords d’entreprise au sein des organisations : chaque branche avait ses accords, point. Post-1968, les différentes entreprises continuent d’être soumises aux mêmes lois que le reste des entreprises de leur branche, or, elles peuvent négocier des accords encore plus favorables, via des négociations sociales entre les organisations syndicales représentatives et l’employeur.

1982, les lois Auroux donnent naissance au Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT)

Désormais, un comité est dédié aux questions d’hygiène, de sécurité, et de conditions de travail des employés… mais ce n’est pas tout : à partir de cette date, les entreprises sont obligées d’ouvrir chaque année des négociations sur les salaires, la durée, et l’organisation du travail. Il s’agit des Négociations Annuelles Obligatoires (NAO).

2017 : les Ordonnances Macron orchestrent la fusion des Instances de représentation du personnel

Avant 2017, le Comité d’Entreprise (CE), dont les prérogatives portaient des sujets économiques et sociaux de l’entreprise, le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail  CHSCT et l’instance des Déléguées du Personnel (DP) représentent trois instances différentes, sans parler des négociations avec les Délégués Syndicaux  (DS) de toutes parts. A partir de 2017, ces trois instances fusionnent et deviennent une seule et même instance : le Comité Social et Economique (CSE). Ce CSE doit obligatoirement être formé dans toutes les entreprises françaises de plus de onze salariés entre mai 2018 et décembre 2019.

On ne le dira jamais assez, la performance économique est interdépendante de la performance sociale. Le dialogue social formel en est un formidable  ambassadeur. Il se mesure par la volonté commune des acteurs d’accompagner, de négocier, de revendiquer, de débattre, toutes les questions sociales et économiques de l’entreprise. Dernier exemple en date : la capacité des organisations à négocier des accords télétravail innovants et adaptés a permis de promouvoir la qualité de leur dialogue social. On peut raisonnablement penser que cette réactivité aura un impact fort sur l’avenir de ces entreprises.

Anaïs Koopman avec la précieuse relecture de Pierre-Yves Goarant

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