santé & durabilité

Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ? Vraiment ?

« Avec ce qui lui est arrivé, il est foutu »

Boris Cyrulnik, qui vulgarise depuis plus de 30 ans en France le concept de résilience forgé par Emily Warner et Ruth Smith, deux professeures californiennes dès les années 1940, s’intéresse à la capacité qu’ont les individus à continuer de se développer malgré un traumatisme et aux facteurs pouvant les y aider avec un objectif : se défaire d’une approche misérabiliste et fataliste – symbolisée bien trop facilement par cette fameuse phrase : « Avec ce qui lui est arrivé, il est foutu » – responsable, selon lui, de nombreuses prophéties auto-réalisatrices.

Ainsi, il définit la résilience comme étant notre capacité à continuer de vivre et de reprendre différemment le cours de notre développement après une « agonie psychique » lié à un traumatisme. Comme un arbre auquel on aurait coupé une branche maîtresse qui poursuivrait sa croissance là où elle en était restée, où bourgeonneraient de jeunes pousses sur ses parties endommagées, l’être humain vivra des blessures inévitables qui n’annuleront pas l’envie de vivre. Selon lui, les traumatismes nous pousseraient à aller chercher des ressources latentes, insoupçonnées ou inexplorées pour transformer les obstacles en tremplin.

Chacun de nous a besoin des autres, de comprendre et d’espérer pour pouvoir rebondir.

Le premier levier fondamental du processus de résilience est notre capacité à entrer en connexion, notre capacité à nouer des liens, à interagir avec les autres afin de ne pas nous sentir prisonnier de notre traumatisme ou de nos difficultés. Ce premier besoin fondamental, nécessaire pour que le processus de résilience s’enclenche, est affectif et relationnel.

Deux autres éléments sont essentiels à la résilience. D’une part, des aptitudes cognitives qui poussent un individu à rechercher et accorder un sens au traumatisme (il n’est pas rare de voir des personnes ayant perdu un proche du cancer s’investir dans une association par exemple). D’autre part, un processus conatif qui relève de la détermination personnelle, de la volonté, voire de l’ego d’un individu qui veut se prouver des choses à lui-même comme le précise le psychologue américain Bruno Bettelheim, rescapé des camps de Dachau et de Buchenwald : « L’homme est libre de choisir son attitude dans n’importe quelle circonstance, c’est son aptitude intérieure à se gouverner lui-même ».

Aussi le sens que l’on donne au traumatisme et notre volonté de le dépasser sont-ils deux conditions sine qua non pour enclencher une nouvelle phase de développement. C’est pourquoi le kintsugi, l’art traditionnel japonais qui consiste à réparer un objet cassé en soulignant ses cicatrices avec de l’or au lieu de les cacher, est souvent utilisé comme métaphore de la résilience en psychologie et en développement personnel.   Ainsi, si l’individu ne peut pas parler et réfléchir au sens qu’il accorde à son événement traumatique, le processus de résilience est rendu beaucoup plus difficile… d’autant que les traumatismes sont souvent empreints de culpabilité.

Photo Jason Leung

Les synonymes majoritairement énoncés pour définir la résilience sont l’endurance, la force, la résistance, la solidité et pourtant ces différents leviers (lien social, sens, détermination) confèrent à la résilience un caractère variable à la fois selon les individus et chez un même individu tout au long de sa vie, rendant le processus beaucoup plus complexe que l’on ne croit.

Ainsi, affirmer que les évènements difficiles d’une vie rendent plus fort reviendrait finalement à confondre la résilience avec une sorte d’invincibilité. Cela sous-entendrait que surmonter une épreuve une fois nous préparerait à en surmonter d’autres.

Or, un individu résilient n’est pas invulnérable ; il est sujet à des émotions, des sentiments, des souffrances et des rémanences.

De même, une personne résiliente n’est pas surhumaine. La résilience est un processus complexe qui s’appuie sur des éléments facilitateurs, mais qui peut rencontrer des limites. Ainsi, rien n’indique qu’un sujet qui se montre résilient à un moment donné de son parcours de vie le sera tout le temps et face à toutes les épreuves.

Il n’existe donc pas de « personnalité résiliente » puisque la résilience est un processus dynamique et évolutif face à l’adversité. En définitive, elle n’est jamais acquise une fois pour toute et si, avant d’être une notion de psychologie et de développement personnel, la résilience est une notion de science-physique qui désigne la capacité d’un matériau à se déformer sans se briser, en psychologie les traces traumatiques laissées par « ce qui ne nous tue pas » nous changeraient inexorablement.

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