Marie Donzel
Marie Donzel
30 octobre 2020
Temps de lecture : 3 min

C’est qui les cons ?

Lecture libre et réjouie de l’essai de Maxime Rovere, Que faire des cons ? – Pour ne pas en rester un soi-même (Flammarion, 2019)

On ne reviendra pas sur l’étymologie du mot « con » (ceux qui ne savent pas ou ont besoin de re-vérifier peuvent demander à leur moteur de recherche favori). A la place, on va commencer par observer l’omniprésence de l’impression largement partagée que les cons sont partout. On est cernés, entre ceux qui « osent tout », vont finir « sur orbite » si ce n’est à Deauville et à qui « il ne faut pas parler, ça les instruit » chez Audiard, ceux qui ont le mauvais goût de porter la cravate chez Dutronc ou de faire du sport chez Coluche, ceux par lesquels il est « dur d’être aimé » sous le crayon du regretté Cabu, ceux qui sont « beaux à la fois » dans la chanson de Brel, ceux qui sont « en surnombre » selon Frédéric Dard, ceux sur lesquels « il pleut » de façon exclusive en Bretagne, ceux qu’il ne faut pas confondre avec les chevaux rappelle utilement Desproges etc.

Les cons, c’est les autres. Comme l’enfer. Les cons, c’est les beaufs de la série de films « Camping » et c’est ceux qui se moquent des beaufs comme dans « Le dîner de cons ». On est toujours le con d’un autre. D’ailleurs, il suffit de (re)voir le film « Ridicule » de Patrice Leconte pour se souvenir que c’est souvent en se croyant plus malin que l’on verse assez sûrement dans la connerie. Une fois qu’on a dit ça, que faire des cons (puisqu’on a tous au moins un en rayon) ? C’est l’excellente question posée par le philosophe spinoziste Maxime Rovere.

Tentative de définition du con. Ce devrait être facile pour Rovere qui confesse avoir eu l’un d’eux pour coloc : un con de première, sans-gêne, borné de la comprenette, lent du bulbe quand il faudrait être un peu vif, efficacement sournois quand on ne s’y attend pas, fréquemment pris en flagrant délit de mauvaise foi, et bien entendu persuadé de son intelligence. Un truc à rendre fou.

That’s the point ! La question n’est pas tant « c’est qui, le con ? », mais dans quel état ça me met quand je suis face à un con ? En état d’être moi-même un con (ou une conne, ce n’est pas parce qu’on parle de connerie qu’il faut être moins inclusif que lorsqu’on parle d’intelligence). Percevoir de la connerie bloque les capacités d’empathie, nous dit Rovere, et ça réduit grandement nos capacités à appréhender la complexité des choses. Quand on dit « C’est rien qu’un con ! », c’est qu’on a atteint le point de la relation où l’on a besoin de tout résumer de l’autre et des interactions que l’on a avec, à trois petites lettres qui ne veulent pas dire grand-chose.

Point de non-retour ? Pas du tout, nous dit Rovere ! C’est justement le point de départ d’un grand voyage exploratoire… A la découverte du con en soi-même. Qu’est-ce qui se joue en moi quand un autre me rend chèvre, me met dans une humeur de cochon, m’amène à me comporter comme un âne ou à faire des vacheries, bref me rend bête (avec tout le respect que l’on doit aux bêtes qui ne sont d’ailleurs pas si connes) ? Des réflexes vitaux s’enclenchent :  il faut se protéger, défendre son intégrité et ses territoires (identité, espace vital, périmètre de légitimité etc.), repousser le danger perçu. Comme le putois dégage des odeurs fétides, on émet des injures ; comme le chat hérisse le poil pour se faire passer pour plus gros, on érige nos bonnes raisons de trouver l’autre si petit et méprisable ; comme l’araignée tisse une toile collante dans laquelle les insectes en vol se prennent les ailes et se mélangent les pattes, on tend des pièges (Et on a la preuve éclatante que l’autre est bien con de tomber dans nos malins panneaux !). Quand on commence à multiplier les conneries de ce type, c’est qu’il est temps de retrouver nos capacités d’« intellection », selon le mot de Rovere : il s’agit de nous remettre en condition de penser, c’est-à-dire retrouver notre capacité à récolter de l’information, à l’analyser et à en faire quelque chose (de plus étayé que la conclusion selon laquelle l’autre est vraiment con). En somme, rencontrer un con, c’est une opportunité inouïe de devenir plus intelligent ! Pas plus intelligent que l’autre, mais soi en plus intelligent.

Marie Donzel

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