Florence Duret-Salzer cristina Kuri
Florence Duret-Salzer
Florence Duret-Salzer
cristina Kuri
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Les auteurs.es
6 mai 2020
Temps de lecture : 5 min

Comment gérer le conflit à distance ?

C’est le printemps ! L’éclosion des conflits sous la serre du confinement ! Comment les médiateurs ont-ils fait face à cette situation d’exception, rendant à la fois leur rôle plus que jamais nécessaire et les conditions d’exercice de leur métier sensiblement plus complexes ? Florence Duret-Salzer et Cristina Kuri, médiatrices et co-autrices de La médiation au travail – Comment réussir (avec Jean-Édouard Grésy), font part de leur expérience.

Bonjour à vous ! Bonjour de loin. Pendant près de deux mois, nous avons eu à apprendre la convivialité en temps de confinement. La visioconférence est devenue reine pour beaucoup. Finis la bise et les poignées de main. A l’image, on se sourit pour dire bonjour, un salut de la main pour dire au revoir. Nous avons appris à ne plus nous interrompre pour respecter le séquençage de la parole que l’outil exige. En façade, l’outil cadre nos échanges pour une bonne continuité professionnelle et relationnelle, il nous invite à la bienséance. Mais qu’en est-il de l’arrière-fond ? Est-ce aussi rose ? N’entendons-nous pas les tensions latentes bruisser et poindre les frustrations, à la faveur de de malentendus ou de vexations ? Qu’en est-il du conflit généré par la distance ?

Si la fuite face au conflit est, en contexte social « normal », un réflexe intuitif répandu (quoique contre-productif), comment ne pas imaginer que la distance réelle qui s’impose à nous ne soit pas de fait génératrice de tensions ?

Conflit confiné n’est pas conflit réglé

Le contexte de travail en temps de confinement est le lit de conflits naissants, en lien déjà, avec les méthodes imposées par le travail à distance. Nouveaux systèmes, nouveaux vocabulaires, difficultés de gestion du cadre professionnel et personnel qui s’imbriquent inévitablement. Sans parler des conflits existants avant le 17 mars 2020, qui se sont (peut-être) mis en veille, tout en ne dormant que d’un œil, attendant la retrouvaille pour sortir dans tous les sens. Et si le 11 mai ressemblait à un 14 juillet ? Ça risque de pétarader, chacun sortant de chez lui avec sa tristesse dans le cas de perte d’un proche, sa charge d’angoisse à propos de la maladie liée au virus invisible, de la reprise tant attendue et aussi crainte, des transports masqués… Pour l’instant, les conflits existent, mais majoritairement à bas bruits. « En avril, ne te découvre pas d’un fil, en mai, fais ce qu’il te plait » : voici un adage adopté par le conflit pour ce printemps 2020.

Sauf si, plus que jamais, nous osons aborder les sujets qui fâchent dans l’objectif affiché d’assainir et de renforcer nos liens. Nous parlons ici de responsabilité sociale et individuelle à propos des effets de la distance en confinement et aussi de celle qui sera « palpable » lors du déconfinement où notre quotidien sera jalonné de gestes barrières. Si la distance est par essence génératrice de violence, comment alors revoir notre manière de penser le conflit dans ce contexte complexe de distance imposée, rendant plus improbable la résolution par l’informel de la proximité du quotidien ? Sans une prise de conscience et un projet d’adaptation pour recréer les conditions de la résolution, nous risquons la multiplication d’éclosion probables qui annonce la récolte généreuse d’un fruit… Acide.

Quelle place pour la gestion de conflit dans l’agenda du déconfinement ?

Ceci étant dit, on ne peut que comprendre le reflexe qui pousse chaque organisation à penser la continuité en confinement et la reprise lors du déconfinement en tenant compte de deux objectifs manifestes :

  • Assurer la sécurité des personnes par le respect (entre autres) des gestes barrières
  • Relancer l’activité économique par la mobilisation collective dans un contexte d’indicateurs inquiétants.

Il est normal qu’un réflexe de « survie » nous conduise à faire un focus sur ces deux objectifs, d’autant que crise sanitaire ou pas, nous observons culturellement que la fuite face au conflit est le propre de la pratique française, mais aussi que le réflexe de protection qui est guidé par notre cerveau reptilien nous conduit à vouloir fuir toute source de danger, le conflit étant perçu comme un danger. Est-ce une perception ? Une réalité objective ?

Dans les deux cas, le résultat est le même : l’évitement de la confrontation.

Or, pour assurer les deux objectifs manifestes ci-dessus, les organisations ont plus que jamais besoin de retravailler les liens, de réinventer les manières d’être ensemble, de travailler, de converser, de planifier. Il semble clairement que la question de l’entente, de la confrontation positive est un enjeu préalable déterminant dans notre contexte nouveau.

Et lorsque cette confrontation est difficile à initier, le recours à un tiers peut s’avérer utile pour que, rapidement et durablement, les individus qui composent l’organisation soient libérés des conflits qu’ils traversent, en s’assurant de sauver la face, par la présence d’un médiateur qui conduit le processus des échanges.

La médiation à distance : retour d’expérience

Alors quel processus ? Les médiateurs sont aujourd’hui amenés à se réinventer dans un contexte qui pose l’éloignement physique (pour ne pas parler de distanciation sociale !) comme une donnée (même si cette pratique à distance existe depuis longtemps pour les médiateurs qui travaillent sur des conflits internationaux).

La pratique de la médiation en visioconférence nous amène aujourd’hui à témoigner.

La distance n’est pas un point de blocage. L’outil présente même des avantages. Entre autres, le fait de mettre chacun a un même plan car sur l’écran, tous les protagonistes ont la même image. Aussi, la question du séquençage de la parole est imposée par l’outil. Chacun se rend compte très vite que la prise de parole alternée est une nécessité en visioconférence.

A côté de ces avantages, il y a deux points de vigilance déterminants :

  • Le premier concerne le cadre de la confidentialité et du confort de chacun pour assurer une liberté de parole.
  • Le second implique un engagement préalable à la rencontre en visioconférence : l’engagement à ne pas appuyer sur « quitter la réunion » en cas d’agacement.

En présentiel, un souhait de départ précipité est visible et permet un accompagnement vers la sortie éventuelle. En visioconférence, il suffit d’appuyer sur un bouton pour claquer la porte. C’est facile, mais dangereux pour la relation. Dans notre pratique, l’envoi d’un message aux parties en amont de la rencontre (dans l’esprit des quelques lignes suivantes) a permis de prévenir cet écueil : « (…) il est important que chacun s’engage à ne pas quitter la réunion brutalement. C’est assez facile sur l’outil. Tout arrêt éventuel pour des raisons qui vous seraient propres, doit être expliqué, afin d’éviter que le procédé à distance amène de la difficulté supplémentaire. Merci de votre retour sur ce point. J’entendrai que votre accusé réception par retour de mail aura valeur d’engagement. »

Nous vivons une nouvelle ère qui nous interroge sur notre capacité à réinventer nos usages et à nous adapter plus que jamais. Une médiation à distance implique un échange téléphonique avec chacun sur 1 heure, puis sur un temps de visioconférence de 1 heure 30. C’est donc un procédé d’accompagnement court qui peut permettre de restaurer une relation pour que chacun puisse, le plus sereinement possible, se concentrer sur les deux objectifs manifestes que nous avons identifiés ci-dessus : santé et mobilisation de tous.

N’ayons pas peur du « conflit/fruit » du confinement. Il attend que nous sachions le cueillir (et l’accueillir !). Soyons à l’affut, de sa naissance à sa maturité. L’enjeu est d’éviter que le fruit pourrisse sur l’arbre qu’est l’organisation. Nous avons voulu témoigner que la médiation est un des moyens venant aider pour la préservation de votre arbre, particulièrement en période de grands vents.

Florence DURET-SALZER et Cristina KURI

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