Marie Donzel
Marie Donzel
20 novembre 2019
Temps de lecture : 3 min

C’est quoi le validisme ?

« Validisme » est l’une des traductions proposées pour le concept d’ « ableism » forgé dans les années 1980 par des universitaires du courant des « disability studies » initié par le sociologue Irving Zola et l’expert des questions d’employabilité Darryl Evans. Ce courant, qui prend modèle sur les « women studies » et les « ethnic studies » en optant pour une approche pluridisciplinaire de l’expérience de certaines populations discriminées, veut rompre avec l’hégémonie de l’approche quasi-exclusivement médicale du handicap. En effet, le handicap est alors vu d’abord comme une malformation ou une dégradation de l’état physique et/ou psychique des personnes, qui appellerait « réparation » (par traitement, équipement, rééducation…) de la personne réputée « invalide » afin que son quotidien de vie se rapproche le plus possible de celui des « valides ».

Cette vision présuppose qu’être « valide » est une position plus valable, plus enviable, voire carrément supérieure. Autrement dit, celui ou celle qui nait sans répondre aux critères de validité est d’emblée perçu·e comme un être incomplet, amoindri et inférieur. Et celui ou celle qui, au cours de l’existence, traverse une épreuve qui le place provisoirement, durablement ou définitivement en situation de handicap, est considéré·e comme étant « moins » que ce qu’il/elle fût. Dans cette perspective, disent les expert·e·s du courant des « disability studies », une hiérarchie s’instaure qui place d’office la personne en situation de handicap dans un devoir de se conformer au maximum à la norme « validiste », au risque d’être exclue et si, pour une raison ou une autre, elle ne parvient pas à « s’adapter » à être mise en cause pour cette exclusion.

Ce qui pose plusieurs problèmes :

1/ La préférence mâtinée de condescendance pour le/la « bon·ne handicapé·e » : celui ou celle qui résilient·e, blindé·e de courage, montrant une humilité sans pareille, manifestant sa gratitude pour ce qu’on fait « pour » lui faciliter la vie (une rampe douce, une place réservée dans les transports, un aménagement de ses conditions de travail) déploie tous les efforts possibles pour rendre sa condition la moins dérangeante possible pour les « valides »… Et s’oublie, voire se nie en tant qu’individu singulier dans ce travail incessant de conformation à la norme ;

2/ La sur-stigmatisation négative de l’handicapé·e qui ne donne pas suffisamment de gages de sa volonté de se conformer la norme validiste : quoi ? Il/elle râle et se plaint (alors qu’on fait plein de choses pour « l’aider »),  n’accepte pas l’emploi en-dessous de ses compétences alors que c’est quand même mieux que rien, exige toujours plus d’attention et de prise en compte de sa situation « particulière » ?

3/ L’impensé de ce que « valide » veut dire. C’est ce dernier point qui interroge toute la société. Qui est valide, au fond ? Qui le sera en continu toute son existence durant ? Que contient cette norme ? Ne porte-t-elle pas implicitement l’idéal d’un être humain performant, vaillant et robuste, sans faille ni accident, sans dépendance(s) ni maladie, sans transformation de son état susceptible d’impacter sa condition sociale (sachant que l’OMS estime qu’une personne sur deux sera atteinte par le handicap au cours de sa vie, ce qui statistiquement implique que nous serons quasiment tou·te·s indirectement touché·e·s, ne serait-ce que par la situation d’un·e proche) ? Alors, la question du handicap peut être posée depuis un autre angle : celui de la déconstruction de cette norme aussi fantasmatique que philosophiquement douteuse de la « validité » en tant que référentiel de la bonne condition humaine.

Marie Donzel

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