Lionel Neveux Marcos Fernandes
Lionel Neveux
Lionel Neveux
Marcos Fernandes
Marcos Fernandes
Les auteurs.es
6 avril 2020
Temps de lecture : 5 min

Comment le confinement change-t-il notre rapport au temps ?

Le confinement a changé l’organisation du travail et notre rapport au temps. Depuis le 16 mars, entreprises et salarié·e·s s’efforcent de s’adapter aux nouvelles mesures sanitaires et de repenser leur logique de fonctionnement. Dans ce contexte, l’un des principaux enjeux est la gestion du temps – faute de repères, les individus sont plus que jamais censés savoir maîtriser leur relation avec cette éternelle préoccupation. Mais comment y arrive-t-on ?  

La notion de « temps » est un champ de bataille qui concerne depuis des siècles plusieurs domaines : la psychologie, la neuroscience, la sociologie, l’histoire, la philosophie… Il n’y a pas, encore aujourd’hui, une idée universelle de ce que cela représente. Chaque culture véhicule sa vision propre des comportements qui seraient les plus adaptés face à cette entité invisible et pourtant si omniprésente dans nos vies, comme Michel Sauquet et Martin Vielajus nous montrent dans L’intelligence interculturelle.

Le temps est, par sa nature mystérieuse (entre cycle de la nature et construction sociale), difficile à cerner. Cet aspect flexible, qui échappe à une définition figée, peut être en soi anxiogène – encore plus en période de confinement. Car non seulement nous avons du mal à le saisir, mais nous éprouvons des sentiments différents selon le contexte : si nous sommes captivés par quelque chose, il peut nous arriver de « ne pas voir les heures passer », alors que, si nous allons chez le dentiste, par exemple, nous pouvons avoir plutôt l’impression que quelqu’un a enlevé les piles de l’horloge, comme nous disait si bien Albert Einstein dans sa théorie de la relativité !

Ajoutons à cela l’injonction à l’hyper-vitesse des sociétés contemporaines, où il faut réagir vite, dire les choses en 280 signes et être au courant de tout ce qui se passe (l’évolution inexorable de la pandémie due au coronavirus, par exemple, a été suivie presque en direct sur Internet). Nous avons donc un élément pouvant déclencher naturellement du stress (le temps) inséré dans un cadre également anxiogène (l’hyper-vitesse) et nous devons désormais faire face à un changement brutal d’organisation (le confinement).

Polychrone ou monochrone : qui êtes-vous ?

Conscientes des enjeux contemporains autour de la gestion du temps, les entreprises ont investi ces dernières décennies dans la formation des collaborateurs et collaboratrices pour qu’ils·elles puissent mieux maîtriser l’enchaînement des heures. Un environnement qui s’inscrit dans un rapport au temps plus serein aide à prévenir les risques psychosociaux. Cette construction d’un quotidien serein et dans lequel nous trouvons un « sens » nous rappelle les enseignements de Marie Jahoda, selon lesquels le travail est un point de repère fondamental dans notre perception du temps.

L’anthropologue américain Edward T. Hall a développé dans son ouvrage Le langage siliencieux, paru en 1959, les notions de « polychrone » et de « monochrone », pouvant décrire des sociétés et des individus. Chez les polychrones, il y a une moindre distinction des temps (personnel et professionnel, par exemple) et une plus grande tendance à faire plusieurs activités de façon concomitante ; il n’y a pas de blocs d’heures qui se suivent et donc une plus grande difficulté à respecter des plannings avec des horaires fixes. Tandis que du côté des monochrones, c’est l’organisation qui règne – on programme nos tâches, on établit des créneaux dans la journée pour traiter de chaque sujet (certain·e·s n’aiment pas, par exemple, parler de travail pendant la pause déjeuner) et on sépare bien les instances professionnelles et personnelles.

Ces deux visions de comportements humains face au temps nous permettent de comprendre que nous n’arrivons pas de la même manière et avec le même répertoire dans le confinement. De plus, des collaborateurs et collaboratrices habitué·e·s à travailler dans une logique « monochrone » seront contraint·e·s, jusqu’à une certaine mesure, à être « polychrones », malgré leurs efforts de structurer les temps personnel et professionnel. De la même façon que les personnes plutôt « polychrones » pourront développer une empathie envers celles et ceux ayant davantage besoin de repères rythmiques. Les entreprises doivent être prêtes à gérer plusieurs populations ayant des caractéristiques et des besoins distincts – mais c’est aussi l’occasion pour tout·e·s de faire l’effort de mieux se comprendre sans se juger.

Anxieux du vide, anxieux de la reprise et résilients

L’accompagnement dans la gestion du temps aujourd’hui se construit en sortant d’une logique essentiellement d’optimisation (produire beaucoup et très vite) vers une logique de structuration (apprendre à trouver un équilibre de la charge mentale). À défaut que la personne soit capable de saisir sereinement la naissance de chaque instant et de faire preuve de résilience, il faudrait la guider.

Dans le contexte du confinement, les collaborateurs et collaboratrices sont susceptibles de se retrouver dans trois principaux cas de figure :

1. Les anxieux du vide

Habitué·e·s à la routine du bureau, ces collaborateurs & collaboratrices peuvent se sentir oppressé·e·s s’il leur faut organiser leurs journées hors cadre de l’espace-temps professionnel. Il faudrait, dans ce cas, une aide à la structuration du temps. Installer des rituels, comme des meetings réguliers par visioconférence, peut contribuer à la mise en œuvre d’un planning. Sans oublier l’informalité, qui est un outil tout aussi important de la vie professionnelle : pendant les visioconférences, par exemple, essayez de reproduire le climat amical qui règne chaque matin autour de la machine à café. Chez AlterNego, par exemple, chaque lundi les collaborateurs et collaboratrices se donnent rendez-vous – ceux et celles qui ont le temps et l’envie, bien évidemment – pour un « petit-déjeuner virtuel », où l’on partage des nouvelles sur le quotidien de confinement !

2. Les anxieux de la reprise

Le confinement n’est pas la seule épreuve pour ce type de personnalités : il faut aussi prendre en compte l’anxiété à la perspective la reprise à la fin de cette période. Dans ce cas, présent et futur sont sources d’inquiétude. La communication doit alors être stratégique, plus intense, quitte à surcommuniquer – en utilisant plusieurs canaux : newsletter, appels téléphoniques, mails, SMS, visioconférences… Même si les choses ne sont pas forcément claires, il vaut mieux donner le plus possible de détails sur ce qui se passe et sur ce qui va se passer au niveau de l’entreprise. Le/la manager de proximité doit être capable de saisir et de relayer l’élément le plus précieux de chaque information aux collaborateurs et collaboratrices.

3. Les résilientes

Finalement, nous retrouvons chez les salarié·e·s actuellement confiné·e·s des personnes déjà habituées au télétravail et conscientes du besoin de repenser notre rapport au temps. L’accompagnement, ici, doit être adapté : les rituels proposés sont censés respecter l’autonomie du collaborateur ou de la collaboratrice et lui permettre de garder contact avec l’équipe sans que cela ne soit anxiogène collatéralement. Il est néanmoins conseillé de faire attention pour ne pas tomber dans une routine « workaholic » en essayant de garder une posture résiliente !

···

Accepter que le temps est un concept flexible est déjà un exercice complexe et qui peut nourrir de l’anxiété chez certaines personnes. L’hyper-vitesse de nos sociétés contemporaines, ainsi que le besoin de savoir gérer son temps, sont également des éléments susceptibles de générer du stress. Le confinement nous oblige à faire preuve de résistance face à un changement important, mais nous aide aussi à prendre du recul et à réfléchir sur notre rapport au temps (petit clin d’œil à Carl Honoré). Plus que jamais, les leviers de la résilience sont nécessaires pour faire face au paradoxe temporel. Pendant cette crise, deux fonctions clés doivent venir en aide aux entreprises : les ressources humaines et le management de proximité. Savoir reconnaître ses marques, ses rituels et ses habitudes journalières et les replacer dans un nouvel environnement, avec des nouvelles contraintes, est essentiel dans le maintien d’un esprit serein qui regarde le temps dans les yeux sans peur de se perdre au milieu des heures.

 Lionel Neveux & Marcos Fernandes

Lire des articles sur les thèmes :