Marie Donzel
Marie Donzel
10 décembre 2018
Temps de lecture : 4 min

Droits de l’homme ou droits humains ?

Des Droits de l’Homme … Droits de l’Homme

On dit de la France qu’elle est le pays des « droits de l’homme », là où est né il y a près de deux siècles et demi le plus beau des projets politiques : un universel de l’égalité en droit, sacrant la liberté individuelle et l’appartenance au collectif, imposant en fondamental le respect de l’intégrité des personnes et de leur conscience et instaurant le principe de représentativité comme système d’organisation de la vie politique.

Sauf que les malfaçons initiales de la République fondée par des États généraux ayant d’autorité exclu les femmes du projet universaliste autant que les péremptions de l’Académie française qui décide au XVIIe siècle que le « masculin l’emportera sur le féminin » fabriquent un malentendu.

Qui sont les Hommes concernés ? Un grand H ne résout pas la question de la possibilité pour chacun·e de se projeter dans l’humanité politique et les femmes se trouvent dans les faits obligés de conquérir un par un, sur le temps long de l’histoire, les droits citoyens d’une Déclaration qui ne s’applique a priori pas à elles.

De cette inégalité politique instituée va découler tout un ensemble d’inégalités plus ou moins officialisées : de l’impossibilité d’accéder librement et gratuitement à l’instruction comme les garçons (jusqu’en 1880) à celle de participer à la population active et à la vie économique aussi longtemps qu’il leur faudra l’autorisation d’un père ou d’un mari pour travailler et ouvrir un compte en banque à leur nom (jusqu’en 1965) en passant par d’absurdes dispositions comme celle leur interdisant le port du pantalon (abolie seulement en 2013).

Sur le socle de ces inégalités en droits, le « siècle bourgeois » qui succède à la Révolution française, établit la répartition des espaces et des fonctions qui va ancrer profondément des stéréotypes de genre : aux femmes les confins du foyer et des devoirs familiaux avec toutes les qualités supposées qui vont avec ; aux hommes le vaste monde et les rapports socio-professionnels avec toutes les compétences et postures que cela exige.

 Droits de l’Homme

… vers les Droits Humains ? Droits de l’Homme

Encore aujourd’hui, nous peinons à sortir de ce pétrin : l’égalité entre les femmes et les hommes demeure une question de progrès (dont il faut se satisfaire des acquis tout en reconnaissant le chemin restant à parcourir) sans parvenir à s’installer pleinement en droit citoyen qui bénéficierait du même consensus que celui qui accorde une valeur suprême aux « droits de l’homme ».

Puisque le diable se cache dans les détails, rien n’est à négliger dans ce qui est encore un combat : malgré les discours qui tournent en dérision les réflexions sur le genre de la langue (et l’écriture inclusive en première ligne), il y a bien un enjeu à se défaire de la confusion entre « homme » et « humain » qu’entretiennent toutes les expressions réputées neutres telles « homme politique » pour « personnalité politique », « comme un seul homme » pour « consensuellement », « homme de paille » pour « prête-nom », « assurance homme clé » pour « assurance du créateur/de la créatrice d’entreprise » etc. Et c’est évidemment encore plus crucial s’il s’agit des droits universels qui, depuis 1948, sont supposés s’adresser à chaque individu ressortissant d’un pays adhérent à l’ONU.

La Déclaration Universelle Onusienne s’est largement inspirée de la déclaration française de 1789. Une curiosité est cependant à relever : adoptée par tous les pays membres de l’organisation, cette déclaration ne porte pas partout le même nom. Elle est « déclaration des droits humains » (human rights) dans les pays anglosaxons ou des « droits de la personne », dans la plupart des pays francophones (Canada, Suisse), en Espagne, en Croatie, au Portugal, en Grèce, en Russie, en Italie, au Vietnam ou en Slovénie (entre autres). Elle est « déclaration des droits de l’homme » en France, en Allemagne, en Pologne, en Roumanie, au Danemark, en Norvège, en Suède, au Pays-Bas, en Islande.

Il y a là quelque chose de fort contre-intuitif : les champions de l’égalité femmes/hommes que sont les pays scandinaves sont aussi ceux qui n’ont pas neutralisé la terminologie des droits fondamentaux ! Plus généralement, ce sont les leaders du vieux continent qui ont comme oublié de symboliser dans leur langue courante que la moitié de la population n’est pas une sous-catégorie de l’humanité !

L’histoire y a sa part de responsabilité : ces pays ayant pour la plupart adopté avant 1948 une déclaration calquée sur le modèle français de 1789, ils en ont aussi repris le titre en traduction littérale. Les pays plus récemment engagés dans la démarche se sont alignés sur l’universalisme à l’anglo-saxonne pour lequel « man » et « human » sont indiscutablement distincts. Mais depuis plusieurs années, des pétitions circulent régulièrement dans les pays qui s’obstinent à parler de « droits de l’homme » pour désigner les « droits humains ».

A l’ère de la mondialisation et partant de la quête d’un socle de valeurs politiques et économiques universellement partagés, sur lequel construire des modèles équitables d’échanges, il paraît en effet d’un archaïsme critique de s’accrocher à une formulation qui porte l’héritage de l’exclusion des femmes. Parlons donc enfin, partout, de droits humains !

VS Droits de l’Homme

Marie Donzel, experte en innovation sociale

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