Valentine Poisson
Valentine Poisson
20 avril 2017
Temps de lecture : 3 min

Quelle Histoire ! La guerre du Vietnam : une sombre incompréhension

L’écoute est cruciale en négociation comme en médiation. Elle mobilise la curiosité de l’ensemble des négociateurs, qui doivent s’interroger sur leurs intérêts sous-jacents, véritables enjeux de la négociation ou de la résolution du conflit. Faute d’écoute, les expériences de l’Histoire ont vu poindre un trop grand nombre de tragédies, à l’instar de la terrible guerre du Vietnam.

Les accords de Paris, signés le 27 janvier 1973 par Lê Duc Tho et Henry Kissinger, mettent fin à dix années de conflit meurtrier au Vietnam. Les Etats-Unis en ressortent profondément humiliés, et leur politique étrangère décrédibilisée pour de nombreuses années. Côté vietnamien, on déplore la mort d’un million de combattants communistes et de quatre millions de civils[1]. Le territoire est également ravagé : entre 1965 et 1973, l’armée américaine aura largué deux fois plus de bombes sur le Vietnam que durant toute la Seconde Guerre mondiale[2]. Le napalm et les défoliants tels que le tristement célèbre agent orange se chargeront quant à eux de marquer de manière indélébile le territoire et le peuple vietnamien.

Si seulement les adversaires avaient tenté de se comprendre avant de chercher à s’anéantir, ils auraient déduit que tout ce conflit n’avait aucun sens. En effet, les objectifs des deux parties n’étaient en rien inconciliables…

Trop aveuglés par un positionnalisme exacerbé, Américains et Vietnamiens n’ont plus su s’observer avec les yeux de l’objectivité, ne cherchant à combler la méconnaissance béante de l’Autre seulement une fois venu le temps des regrets… Robert McNamara, le secrétaire de la Défense sous la présidence de John Kennedy et de Lyndon Jonhson, considéré comme l’« un des principaux artisans de l’agression militaire des Etats-Unis au Vietnam[3] », confesse à ce titre : «  Je n’avais jamais visité l’Indochine et je ne comprenais rien à son histoire, à sa langue, à sa culture, à ses valeurs. Je n’y étais en rien sensible. […] Quand il s’agissait du Vietnam, nous nous trouvions en position de décider d’une politique pour une terra incognita[4]».

Eblouis par la hantise d’une menace communiste sur le continent asiatique (la fameuse « théorie des dominos » du président Eisenhower), les Américains se mirent à redouter un rapprochement entre la Chine et le Vietnam. Mais c’était sans chercher à comprendre toute l’ampleur de l’inimitié historique qui caractérisait alors Pékin et Hanoï… En 1995, Robert McNamara s’est rendu au Vietnam pour rencontrer l’ancien ministre des Affaires Etrangères vietnamien. Celui-ci lui confia lors de leur entrevue : « Vous auriez pu tout avoir, l’indépendance, l’unification. Monsieur McNamara, vous n’avez jamais ouvert un livre d’histoire, sinon vous sauriez que nous n’étions pas les pions des Chinois ou des Russes. Vous ne saviez pas ça ? Vous n’avez pas compris que nous combattons les Chinois depuis 1000 ans ?[5] ».

Avec un petit effort, les Américains auraient ainsi pu considérer cette insurrection pour ce qu’elle représentait aux yeux des vietnamiens : une guerre civile et une lutte anticoloniale. Se faisant, ils auraient alors pu se saisir de ces valeurs indépendantistes pour forger une alliance avec les vietnamiens au nom de leur sacro-sainte liberté, et ainsi répondre à leur objectif d’influence dans la région sud-est asiatique.

De leur côté, si les Vietnamiens avaient essayé de comprendre les Américains, ils auraient intégré que ces derniers n’avaient aucune velléité colonisatrice. S’ils étaient effectivement déterminés à soumettre le Sud et le Nord Vietnam à ses propres intérêts, les Américains ne se voulaient pas le relai du pouvoir colonial Français, ce que les Vietnamiens ont immédiatement déduit à l’arrivée des troupes américaines.

Si seulement les ennemis s’étaient compris … nous n’aurions probablement jamais connu le mouvement de contre-culture hippie !

Valentine Poisson


[1] Déclaration des autorités vietnamiennes le 3 avril 1995.

[2] 7,08 millions de tonnes de bombes. Source : Encyclopédie de la Seconde Guerre mondiale, 2015.

[3] Eric Toussaint & Damien Millet, « Robert McNamara, artisan de la mise au pas des peuples », CADTM, 2009

[4] Robert McNamara, « In Retrospect, the tragedy and lessons of Vietnam », Seuil, 1996.

[5] Documentaire The Fog of War, Onze leçons de la vie de Robert S. McNamara. Errol Morris, 2004.

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