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Jean-Edouard Grésy
13 juillet 2017
Temps de lecture : 5 min

Quelle Histoire ! La médiation sous Louis XIV

Connaissez-vous L’arbitre charitable, un moyen facile pour accorder les Procès promptement, sans peine et sans frais ? Ce livre, écrit en 1666, est le premier ouvrage connu qui expose tout au long de ses quelques 140 pages les vertus et la pratique de la médiation.

Cet écrit est passionnant à plus d’un titre. D’abord parce que nous avons très peu de traces historiques de la médiation. Ses usages, qui se traduisent dans le comportement des acteurs, comme les paroles, s’envolent. Dans les actes notariés de cette époque figurent de nombreux accords amiables, mais il est rarement précisé s’il y a eu intervention d’un tiers, si oui, qui il est, et surtout comment il est intervenu. De manière caricaturale, les juristes « positivistes » ne s’intéressent qu’au droit écrit et non à l’oralité des coutumes. C’est pourquoi leurs études concernent essentiellement la période postérieure à 1804, lorsque la création du Code Civil renforce le pouvoir des juges et affaiblit progressivement les voies de régulation amiable.

L’auteur, Alexandre de la Roche, Prieur de Saint Pierre, explique que le 6 mars 1610 le roi Henri IV avait ordonné que dans « toutes les Villes, Cours et Juridictions du Royaume, il y aurait des Consultants et Arbitres charitables, qui prendraient soin des procès des pauvres gratuitement. » Cette réforme majeure a tout juste eu le temps de s’implanter en Provence, mais est restée lettre morte dans le reste de la France du fait du régicide intervenant la même année. Une suite de conflits religieux a ensuite déchiré l’Europe centrale jusqu’en 1648 (la fameuse guerre de Trente Ans). Louis XIV règne depuis 1643 au moment où Alexandre de la Roche écrit cet ouvrage. L’auteur considère que c’est au clergé de reprendre la main sur l’ambition portée par Henri IV, il n’est donc pas surprenant dans ce contexte qu’il émaille son propos de multiples références bibliques, pour ainsi justifier que cet esprit de concorde relève en premier lieu des ecclésiastiques.

Cet ouvrage fondateur, édité à 10 000 exemplaires (ce qui est considérable pour l’époque !) est ensuite délaissé des médiateurs, avant de tomber dans l’oubli … Comme l’explique Bruno de Loynes[1], ceci tient du fait qu’on distinguait alors l’arbitre tel qu’on l’entend aujourd’hui, celui qui tranche le litige, et l’arbitrateur (dit aussi apaiseur, ou amiable compositeur) qui jouait le rôle de médiateur. Si les deux acceptions sont passées en revue par notre auteur, c’est bien pour la seconde que la découverte de « L’arbitre charitable » est la plus intéressante.

Les formules du XVIIème siècle sont particulièrement savoureuses : pour « obvier justice », pour se « délivrer des procès et de ces flammes dévorantes, de haine et d’animosité qui les accompagnent », pour « chasser la chicane de France », pour que « bonne paix et véritable amour se fasse », pour « amener à une fin amicale et paisible » …

 

 

En guise de résumé, voici ce qu’Alexandre de la Roche nous répondrait[2]  si nous lui posions ces 7 questions quelques 350 années plus tard :

  1. Pouvez-vous nous confirmer que la médiation a toujours existé ?

« Saint Louis le plus grand de nos Rois l’a dignement pratiqué, il se dépouillait de l’autorité souveraine, pour prendre la qualité de médiateur charitable parmi ses Sujets. »

« Toutes les coutumes quasi de nos provinces y convient aussi les peuples, surtout les parents, parce que disent nos lois, qu’ils sont de même sang ».

  1. Quelles sont vos réserves face aux procès ?

« C’est aujourd’hui la plaie la plus déplorable de l’Etat, pire que la lèpre des Juifs, et les sauterelles d’Egypte, c’est un mal qui ruine le corps et l’âme, les biens temporels et spirituels, qui détruit les familles, qui fait mener une vie languissante aux portes des Palais et Tribunaux, et enfin qui produit ces haines et animosités irréconciliables, ces blasphèmes, désespoirs et ces vengeances funestes… »

  1. N’y-a-t-il pas des résistances au sein de la magistrature ?

« Un médecin oserait il témoigner avoir regret de ce que la peste cesse dans sa Ville ? Un chirurgien, de ce que la plaie de son voisin n’est pas gangrénée ? Le juge se sert de ce remède dans ses propres affaires ; il le conseille à ses parents et à ses amis ; il sert d’instrument tous les jours pour terminer leurs affaires à l’amiable »

  1. Quelles sont les craintes à aller en médiation ?

« La plupart de tous ceux qui ont procès dans le cœur voudraient être d’accord, du moins de deux parties qui se plaident, l’une le désire, la partie la plus faible, ou la plus sage, mais on n’ose le témoigner, de crainte comme il arrive d’ordinaire, que partie adverse ne recule, et ne se vante qu’on a peur ».

  1. Qu’est ce qui peut motiver les parties à venir en médiation ?

« Il faut avoir la prudence et la discrétion de ne rien dire qui choque d’abord celui à qui on parle, quelque mauvaise que sa cause paraisse, mais seulement on lui peut dire, que cela fait grand tort à sa réputation, que ses ennemis ou les mal informés, racontent la chose autrement, que cela donne de mauvaises impressions, et qu’enfin, s’il s’accommode, que ces bruits cesseront, et qu’il fera voir qu’il est tout autre que ses ennemis ne publient »

  1. Quelles sont les qualités d’un bon médiateur ?

« Il faut surtout patience, prudence, adresse et charité ; il faut se rendre agréable aux parties, gagner créance sur leur esprit, pour cela commencer par les plaindre, qu’on a douleur du mal, de la peine, de la dépense que leur cause leur procès, après cela écouter patiemment toutes les plaintes, qui ne seront pas courtes ».

  1. Pour conclure, auriez-vous un exemple de médiation réussie ?

« Un pauvre père demanda secours contre un fils ingrat, à qui n’avait donné tous les biens pour le mieux marier, et qui ne lui avait payé il y avait quatre ans la pension qu’il s’était réservée ; qui le laissait nu et moribond sur une poignée de paille, âgé de 85 ans »

« Cela a si bien réussi, que ce fils même, ingrat et dénaturé, qui n’aurait pas eu honte de plaider son père, et l’abandonner un si long temps, s’est rendu à une simple parole de son Curé, plus puissante que douze arrêts qu’avait fait son père contre lui, parce que la parole de ce bon Pasteur était animée de Charité ».

 

MERCI, Monsieur de la Roche !

Jean-Edouard Grésy


[1]      Bruno de Loynes de Fumichon, Histoire de la médiation. Des repères dans le temps des médiateurs, Média & Médiations, 2016, pp. 98-99.

[2]      Les réponses sont intégralement tirées de citations de son ouvrage

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