Parwa Mounoussamy
Parwa Mounoussamy
11 janvier 2018
Temps de lecture : 4 min

INTERVIEW : Comment surmonter un choc collectif ?

Trois ans déjà se sont déroulés depuis les funestes attentats perpétrés contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher de la Porte de Vincennes. Tout le peuple français fut alors frappé par l’horreur, et demeure aujourd’hui encore marqué par ce tragique épisode.

Comment rebondir après un évènement comme celui-ci ? Comment l’intégrer dans notre histoire ? Nous avons sollicité l’éclairage de Parwa Mounoussamy, psychologue clinicienne et médiatrice du cabinet AlterNego.

Où en sommes-nous trois ans après Charlie Hebdo ?

Ces attaques terroristes ont pris une autre signification suite à celles du 13 novembre. Ces évènements sont alors vécus non plus seulement comme une atteinte ignoble à la liberté de la presse, mais également comme les premières agressions s’inscrivant dans une série d’attentats visant notre modèle sociétal et nos valeurs démocratiques. Leur sens a donc évolué.

Qu’en est-il du traumatisme lié à ces attentats ?

Nous faisons ici face à des évènements extrêmement traumatiques, visant le noyau de notre identité et de nos valeurs.

De plus, quand l’évènement est causé par l’Homme, comme c’est le cas ici, il est plus difficile à surmonter. Même si dans le cadre d’une catastrophe naturelle les dommages physiques peuvent être plus importants, le sens de l’évènement est plus facile à trouver. La situation est considérée comme « inévitable ». A contrario, l’intention volontaire de nuire est très perturbante, la violence symbolique s’en retrouve démultipliée.

Il nous faudra donc beaucoup de temps pour nous en remettre ?

Pas seulement. « Il n’y a que le temps qui peut guérir certaines choses », « ça va se tasser », « avec le recul ça ira mieux » …. Ces croyances nous incitent à rester inactifs face à un évènement traumatique, souvent parce que les décideurs eux-mêmes sont en état de sidération et ne savent pas comment réagir.

Le choc des attentats a provoqué de la peur mais aussi de la cohésion. Comme l’explique la journaliste Aude Lorriaux, « les grandes peurs collectives ont une utilité sociale, celle d’assurer la cohésion et l’identité du groupe. C’est particulièrement vrai dans le cas de la France de l’après-Charlie, où des millions de personnes sont allées manifester ensemble ».

Ainsi, comme au niveau individuel, les émotions fortes vécues par un collectif sont utiles. Mais elles risquent aussi de prendre le dessus et de parasiter nos capacités de raisonnement. « S’en remettre », c’est comprendre ce qu’on a vécu, sans en exclure les émotions mais sans pour autant se faire absorber par celles-ci.

Comment réussir à dépasser cette peur ?  

Le rôle des dirigeants d’un Etat ou d’une organisation qui vit un tel choc traumatique est de protéger les personnes et de donner les moyens au corps social de s’auto-guérir. L’objectif de ces actions est bien de retrouver une faculté de penser vis-à-vis de la situation et également de réfléchir sur la manière dont elle nous a transformé. Qui sommes-nous devenus après ce que nous avons vécu ?

Pour faciliter ce processus, ils doivent organiser l’action, en la découpant à plusieurs échelles :

  • Le niveau des personnes : en premier lieu, les décideurs devraient être accompagnés individuellement et/ou collectivement, afin d’être à leur tour en mesure d’organiser et de gérer la prise en charge des victimes directes et des témoins. Celle-ci aidera les victimes à sortir de la stupeur, à lancer le processus de « digestion » de ce qui vient de se passer au niveau neurologique, et à prévenir ainsi l’apparition de troubles du stress post-traumatique.
  • Le niveau de l’organisation : la communication sociale permettra la création d’un récit « officiel » autour de ce qui nous est arrivé collectivement. Celui-ci aidera le corps social à intégrer l’évènement dans son histoire et facilitera ainsi le travail de dépassement et de reconstruction.

En quoi ce travail de reconstruction et de mémoire est-il important ?

Cela permet d’accepter que la blessure existe, afin de pouvoir la dépasser. C’est le mécanisme de la « résilience », cette capacité à rebondir après un trauma, que Boris Cyrulnik a beaucoup théorisé.

La mémoire collective, tout comme la mémoire individuelle, est éminemment subjective. Il s’agit d’une représentation sélective du passé, qui participe à la construction et au maintien de notre identité. On peut dire qu’on se raconte notre Histoire, et qu’en le faisant nous nous réinventons en permanence.

Rebondir après un évènement traumatique, c’est donc quelque part acquérir une multitude d’enseignements sur nous-mêmes et sur notre capacité à intégrer l’évènement dans notre histoire et notre identité. C’est un cercle vertueux : nous développons ce faisant notre résilience individuelle et collective, ressource précieuse qui nous permettra de rebondir plus rapidement et efficacement dans l’avenir.


Pour aller plus loin …  

  • Sylvain Delouvée, Patrick Rateau et Michel-Louis Rouquette, « Peurs collectives ». Editions Erès, 2013.
  • Bernard Rimé, Xavier Emmanuelli, Sam Tyano, Hélène Romano et Boris Cyrulnik, « Je suis victime, l’incroyable exploitation du trauma ». Philippe Duval Éditions, 2015.
  • Le Monde, « Pour entrer dans la mémoire collective, un événement doit avoir un sens …», 12/09/2017.
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