Marie Donzel
Marie Donzel
28 mai 2018
Temps de lecture : 3 min

L’oeil de l’expert·e : « Mamoudou Gassama, ce héros »

La vidéo de Mamoudou Gassama sauvant un enfant suspendu à un balcon du XVIIIe arrondissement a ému toute la France. L’agile « héros » a été reçu ce lundi 28 mai 2018 en grande pompe à l’Élysée par Emmanuel Macron, qui l’a remercié par une promesse de naturalisation. Une question reste en suspens : faudrait-il être un héros pour prétendre à la nationalité française ? Éclairage par Marie Donzel.  

Quelle est ta lecture de ce fait d’actualité ?

Le sauvetage d’un enfant par Mamoudou Gassama témoigne incontestablement d’un courage et d’un humanisme qui forcent le respect. Il est parfaitement justifié que la nation salue et récompense cet homme pour son acte héroïque. Il est cependant perturbant que plusieurs personnalités politiques et une partie de l’opinion publique suggèrent que cette récompense se matérialise par l’attribution de la nationalité. Au premier abord, ça tombe sous le sens : cet homme mériterait ses papiers ! Mais le « mérite » peut-il être le critère d’octroi de la nationalité ? Est-ce à dire qu’il faudrait être un·e héros/héroïne pour gagner ses droits ?… C’est douteux, surtout quand il s’agit d’un droit aussi fondamental que la nationalité, qui symbolise la reconnaissance, l’appartenance et touche à l’identité.

Quelles problématiques cela soulève-t-il ?

Derrière la figure du « migrant héroïque » qui aura fait démonstration de son « utilité » sociale, il y a le miroir inversé du migrant ordinaire, négligeable voire « inutile », si ce n’est considéré comme un « fardeau ». On entretient l’idée que les droits sont conditionnés à l’apport d’une plus-value à la société et que celles et ceux qui ne peuvent en apporter la preuve n’y ont pas leur place. C’est toute l’ambiguïté qui est contenue dans les campagnes qui valorisent la différence comme une « chance » ou comme une « source de performance ». Certes, de tels messages sont bien intentionnés et visent à favoriser l’acceptation des « diversités » par le grand public. Mais ils peuvent avoir pour effets pervers de produire une exigence tacite de surperformance des individus concernés pour obtenir leur ticket d’intégration au collectif. Cette vision élitiste des « diversités » est aux antipodes de la logique d’inclusion.

En quoi cela interpelle le monde de l’entreprise ?

Cette affaire résonne au loin avec les dérives de certaines politiques « diversités » et « talents » des entreprises. On fait encore trop souvent de « l’intégration choisie » : on veut bien des femmes, oui, mais alors des femmes (encore plus) compétentes (que les hommes) ; on veut bien des « jeunes des quartiers », oui, mais s’ils/elles ont un solide tempérament d’entrepreneur·e ; on veut bien des personnes en situation de handicap, oui, mais si elles correspondent à la figure du « bon handicapé », celui qui ne baisse pas les bras et qui a développé des super-compétences « grâce » à sa condition ; on veut bien des personnes d’origine étrangère, oui, mais si leur apport culturel s’intègre facilement dans notre culture etc. De façon générale, cette conditionnalité implicite pose un problème sur le plan du principe fondamental d’égalité (qui veut que même les incompétent·e·s aient des droits !).

Dans le cadre plus précis de l’entreprise, cela interroge la possibilité même d’une politique d’inclusion : comment faire évoluer les codes de la légitimité, de la participation et de la valorisation si on ne partage l’espace d’appartenance et de reconnaissance qu’avec des « différent·e·s » qui nous conviennent, voire qui, par leur exceptionnalité, flattent notre perception de ce qui est juste et bon ?

Marie Donzel

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