Patrick Scharnitzky
Patrick Scharnitzky
26 mars 2020
Temps de lecture : 4 min

Un autre virus : la rumeur

Nous vivons actuellement une période inédite, sans repère issu du passé et sans aucune visibilité claire sur le futur. Le travail, la vie sociale, le couple, les enfants, toutes les cartes sont redistribuées, nous avons tout à réinventer. Et cela se déroule dans un climat anxiogène alimenté par une parole médiatique qui ne résiste toujours pas aux sirènes du sensationnel. Toutes ces conditions sont identifiées depuis bien longtemps en psychologie sociale comme un fertilisant idéal à l’émergence des rumeurs.

Les rumeurs sont des informations infondées qui circulent dans le corps social de façon virale. Elles sont en outre catalysées par les réseaux sociaux qui nous mettent chaque seconde face à l’immédiateté des informations, de façon planétaire. Et comme elles sont une réponse à un stress généralisé, elles sont particulièrement actives dans ce contexte anxiogène. C’est par exemple et seulement quand l’entreprise connaît des difficultés économiques que les rumeurs naissent sur l’état de santé du CEO, un éventuel plan social ou encore une délocalisation de grande ampleur.

En effet, les rumeurs comme les virus aiment la proximité, le plaisir que les gens ont à partager, et se répandent de façon exponentielle. Mais comme la nature a horreur du vide, pourquoi les rumeurs se déploient-elles alors qu’elles sont si néfastes ? Quelle est leur fonctionnalité psycho-sociale ?

Des rumeurs néfastes… Mais utiles

Même si elle est infondée, la rumeur est une information qui donne une explication et c’est toujours ça de pris ! La psychologie humaine déteste ne pas savoir, ne pas comprendre, ne pas pouvoir anticiper. Nous préférons toujours « croire » plutôt que « ne pas savoir ». La rumeur produit un sentiment de contrôle, nous fournit le sentiment que nous avons la main et cela a pour effet, sans doute paradoxal, de réduire le stress. Mais c’est une gestion du stress immédiat, dont les effets sont délétères à plus long terme, un peu comme notre système immunitaire qui produit une réponse disproportionnée dans l’urgence, face à l’attaque des alvéoles pulmonaires par le Covid-19. Cette réponse ne résout rien, bien au contraire, elle aggrave la situation.

Explication moins noble à l’existence des rumeurs : le plaisir lié au pouvoir social de les connaître et de les propager. Quand on connaît une rumeur que les autres ignorent, nous sommes porteurs d’une information neuve. Cela nous place symboliquement en haut de la pyramide, ce qui est toujours l’outil efficace d’une estime de soi renforcée. C’est exactement ce qui s’est passé dans les 48 heures avant la première prise de parole d’Emmanuel Macron, les téléphones sonnaient dans tous les sens pour annoncer le confinement bien avant qu’il ne le dise !

Limiter la propagation des rumeurs : le faux vaccin du démenti

Alors comment lutter contre ces rumeurs qui, à terme, renforcent notre stress, déstabilisent la cohérence des actions, l’organisation d’une information solide qui serait utile pour tout le monde ? Il faut la contredire. Mais là, tout se complique car le démenti peut avoir des effets contre-productifs.

  • Problème 1 : le timing. S’il arrive trop tôt, il peut propager la rumeur elle-même ! Des études montrent que suite à la diffusion d’un démenti, même sérieux, 20% des personnes non informées avant, disaient croire la rumeur ! Mais s’il arrive trop tard, on a le sentiment qu’il est un aveu de véracité de la rumeur. C’est la raison pour laquelle je ne liste pas dans ce papier toutes les rumeurs que nous pouvons entendre en ce moment sur le Covid-19 car je ne veux pas être malgré moi un propagateur, comme pour le virus lui-même.
  • Problème 2 : la source. Le démenti n’a de valeur que si on est en mesure d’identifier une source clairement indiscutable. Et comment faire en ce moment avec la tribu de scientifiques qui témoignent mais dont les médias mettent en scène un degré largement exagéré de discordance car on fait autant de place à des gens qui se positionnent à différentes places sur l’échelle de l’expertise !
  • Problème 3 : le contenu de l’information. Le démenti se propage beaucoup moins vite que la rumeur car le plus souvent, son contenu est moins sensationnel, donc moins valorisant socialement, à transmettre.

Lutter efficacement contre les rumeurs : gestes barrières

Alors que pouvons-nous faire chacun et chacune ? Puisque les rumeurs sont toujours nuisibles, il faut essayer de les ignorer et surtout ne pas les propager en restant chez soi, y compris mentalement. Mais il y a un moyen de lutter contre le stress de façon durable en retrouvant un peu de contrôle sur la situation sans s’en remettre à des pensées magiques. Il faut créer les conditions du contrôle :

  1. Se protéger sanitairement en respectant les règles élémentaires et RESTER CHEZ SOI, bien s’alimenter et bien dormir pour renforcer ses défenses immunitaires ;
  2. Se protéger psychiquement en organisant ses journées de façon ritualisée pour se donner un sentiment de maitrîse : prévoir ses courses pour ne pas avoir peur de manquer, faire des to do listes chaque jour ou chaque semaine pour ne pas connaître de trous propices aux doutes, se donner un rythme de vie stable pour le sommeil, le travail, les plaisirs ou encore les efforts physiques ;
  3. Se protéger intellectuellement en se documentant sur des sources fiables ;
  4. Se protéger socialement en prenant des nouvelles des autres, pour créer un sentiment de partage, et s’inscrivant dans des activités collectives et positives pour rompre l’isolement.

Nous avons des ressources mentales bien supérieures à ce que nous pensons. Utilisons-les sans céder à la tentation de la pensée magique et particulièrement de cet autre virus que sont les rumeurs.

Patrick Scharnitzky

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