Valentine Poisson
Valentine Poisson
11 mai 2020
Temps de lecture : 5 min

Noémie, infirmière : « Je n’aime pas le terme de vocation ! »

Le 12 mai, c’est la journée internationale des infirmières et infirmiers. Une date choisie en l’honneur de  Florence Nightingale, née le 12 mai 1820, pionnière de ce qu’on appelle aujourd’hui le « care », une approche scientifique ET humaine du métier de soignant. Ce fut aussi une militante de l’indépendance des femmes, dont elle défendit les libertés de se marier avec qui bon leur semblait ou de ne pas se marier, de travailler et de se choisir le métier qui leur plaisait, de ne pas se laisser imposer des normes de féminité si porter jupons et autres apprêts ne leur disaient rien.

En somme, le 12 mai est une journée idéale pour (re)écouvrir le premier épisode de notre série en trois portraits. Notre façon de dire que la reconnaissance se conjugue à tous les temps : au passé, au présent comme au futur, dans les périodes critiques comme dans celles qui sont plus apaisées.

À commencer par Noémie P., infirmière en EHPAD dans le Finistère. Ensemble, on découvre sa vision du métier, les satisfactions qu’il lui procure, les difficultés qu’elle rencontre, son vécu d’une situation qui a soudainement braqué les projecteurs sur sa profession.

Comment naît une vocation d’infirmier·e ? À quoi aspire-t-on quand on embrasse ce métier ?

J’ai fait mon stage de 3e en animation en maison de retraite et j’avais vraiment aimé le contact humain, le fait d’aider les autres. Je n’aime pas le terme de vocation, qui renvoie trop à l’historique du métier, les religieuses… Pour moi c’est plutôt une réflexion professionnelle. Après une licence dans une filière universitaire bouchée, je me suis réorientée : le fait de soigner, d’aider, d’accompagner ainsi que la pluralité des lieux d’exercice dans un domaine qui recrute ont motivé mon choix de carrière.

On aspire à des échanges humains, tant entre soignants qu’avec les soignés. Tu sais aussi qu’il y a des moments durs comme la mort, la maladie sous toutes ses facettes… Mais aussi de bons moments. Et heureusement, car sinon on ne tiendrait pas ! Devenir infirmière, c’est aussi une perpétuelle remise en perspective de ses connaissances avec les progrès de la médecine.

Il y a aussi le côté positif que renvoie le terme infirmière au niveau de la société, une forme de reconnaissance sociale car tu es là pour aider autrui avec des compétences dans le soin. Bien sûr il n’y a pas de paillettes derrière cette profession, mais quand tu dis « bonjour, c’est l’infirmière », ça parle tout de suite à ton patient.

Quelles sont les satisfactions de ce métier ?

Le fait d’accompagner au quotidien les résidents, de pouvoir les suivre et de leur apporter de l’écoute, du confort, un sourire… Quand tu rentres chez toi, tu te dis que tu as pu améliorer le bien-être d’une personne. C’est aussi un regard collaboratif : souvent les aide-soignant·e·s nous signalent un problème, nous on évalue et on alerte le médecin, puis on met en application ce qu’il nous dit. C’est un vrai travail d’équipe.  Tu es satisfait de savoir qu’une fin de vie va bien se passer, sans douleur ni angoisse, quand tu peux aller jusqu’au bout de la prise en soin au quotidien.

… Et les frustrations ?

C’est l’évolution du soin, et pourtant je ne suis pas une vieille infirmière ! Mais depuis quelques années je constate vraiment une évolution au profit du financier. La T2A (tarification à l’activité) a fait beaucoup de mal aux soins en général. Comment veux-tu quantifier le temps passé à rassurer, expliquer et écouter ? Tu as le sentiment qu’il faut que ton patient rentre dans des cases… La logique des soins, par la lourdeur administrative et économique, peut être frustrante. En EHPAD ça passe par l’absence d’infirmière la nuit par exemple, ou bien les appels au 15 où, en fonction de ton interlocuteur, on te fait comprendre que, vu l’âge ce n’est pas une urgence… Il y a des fins de vie que tu voudrais rendre un peu plus dignes. Comme lorsqu’il y a un décès le dimanche et que tu dois attendre le lundi pour le médecin… Il y a aussi la frustration du manque de temps et de moyens humains pour les résidents : quand tu as 70 résidents et que tu es la seule infirmière, tu sais que tu vas devoir gérer ton temps en priorisant et que certains patients devront être… patients.

Et puis, une frustration familiale : tu sais que tu passes à côté de moments en famille en travaillant les week-ends et les jours fériés. Enfin, le manque de reconnaissance salariale : on nous parle de prime mais c’est une valorisation des salaires dont on aurait besoin. On n’a pas été augmentés depuis je ne sais combien de temps et notre salaire est le plus bas au niveau européen.

La France entière a applaudi les soignant·es pendant la crise COVID-19. Comment avez-vous vécu cela ?

Clairement, en campagne, les applaudissements, je ne les entendais pas… On a un peu eu l’impression d’une reconnaissance sur le tard, alors que cela faisait déjà quelques années que les infirmier·e·s descendaient dans la rue pour avoir plus de moyens techniques et humains.

À côté des applaudissements qui n’ont concerné que les grandes villes, je tiens à souligner les initiatives locales qui se sont mises en place pour soutenir le personnel soignant pendant la crise du COVID-19, comme la priorité aux caisses qui leur a été donnée dans certains supermarchés. On a utilisé ce droit ou pas, mais c’est quand même une forme de reconnaissance qui a fait plaisir. Un autre exemple, la création du groupe Facebook « La Krampouz Héros » (krampouz = crêpe en breton) : si un de mes voisins confinés s’ennuyait et voulait remercier le personnel soignant, les éboueurs, les pompiers, les gendarmes, toutes les personnes mobilisées, il pouvait faire un gâteau et signaler sur le groupe qu’un gâteau était disponible. Quelques sucreries pour notre pause : c’était plus sympa que les applaudissements, c’était plus concret et ça nous a touchés. On a eu aussi des dons de chocolats pour Pâques, des fleurs… Pour le personnel mais aussi pour nos patients. Les résidents étaient contents, et c’est toujours accompagné de dessins d’enfants, qui prenaient ainsi conscience des personnes mobilisées.

Aujourd’hui, on espère encore que la population a pris conscience que la santé c’est important et qu’il faut des moyens tant humains que financiers pour en améliorer la qualité.

Avec qui souhaitez-vous partager cette reconnaissance ?

Avec les soignant·e·s en général, tous ceux qui font que le métier tourne, et surtout les aide-soignant·e·s. Il y en a de moins en moins et nous avons peur que le métier soit amené à disparaître… Pourtant elles/ils portent aussi la baraque, il y a énormément de mobilisation de leur part, alors qu’elles/ils sont moins bien loti·e·s que nous en nombre de week-ends.

Article édité par Elise Assibat

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