Valentine Poisson
Valentine Poisson
13 juin 2019
Temps de lecture : 4 min

« En entreprise ou en contexte sportif, les stéréotypes sont les mêmes » – L’interview de Melissa Plaza

Melissa Plaza est une véritable figure inspirationnelle. Ancienne joueuse de football, internationale, elle est aussi dotée d’un doctorat en psychologie du sport au cours duquel elle s’est penchée sur les liens entre les stéréotypes de genre et les biais inconscients qui nous affectent en matière sportive. Aujourd’hui, elle s’attache à promouvoir l’égalité femmes-hommes, sur le gazon… Et dans nos bureaux !    

 

Dans votre livre « Pas pour les filles ? » vous déconstruisez les stéréotypes liés à la pratique féminine dans le football. Pourquoi avoir orienté vos recherches sur ce sujet ?

C’est le combat d’une vie ! Avec le recul, je me dis que mon parcours aurait pu être bien plus simple si on m’avait encouragée en soutenant l’idée que tout est possible… Ce qui n’a pas été le cas tout de suite. En effet, mon entourage a d’abord cherché à me détourner du football pour tenter d’orienter mes choix vers des activités pensées plus féminines, comme le patinage. Le football ? Trop violent pour les femmes, qui seraient trop lentes, trop ceci ou trop cela pour ce sport…  J’ai ainsi compris que la place des femmes dans le football est rarement pensée comme une évidence et qu’il fallait lutter pour avoir droit à un bout de carré vert et enfin sortir de l’étiquette du garçon manqué, qui s’applique à tous les sports d’ailleurs. Depuis, j’essaie de démontrer à quel point ces pensées limitantes et binaires sont ridicules et qu’on gagnerait tou·te·s à ouvrir nos champs des possibles pour être plus libres de s’épanouir et de devenir la personne que l’on rêve d’être. Je suis convaincue que cela nous permettrait d’évoluer vers une société plus harmonieuse.

Quels sont les parallèles qui peuvent être fait entre le monde de l’entreprise et celui du sport ?

Ce sont exactement les mêmes mécaniques. Les stéréotypes, que ce soit en entreprise ou en contexte sportif, sont les mêmes. L’ensemble des problématiques liées à l’égalité femmes/hommes en général sont également similaires : les sports et les métiers catégorisés plutôt masculins ou féminins, le plafond de verre, la non-mixité… C’est pour ça qu’il est important, à mon sens, de sensibiliser aux thématiques des stéréotypes de genre et de la mixité dans tous les univers. Quand on a les outils pour décrypter, on peut faire évoluer les choses quelle que soit la sphère, professionnelle ou sportive.

Pour vous, quelles sont les étapes à franchir pour arriver à l’égalité entre les femmes et les hommes ?

Je pense que la pierre angulaire, ce sont les stéréotypes. Ils sont à la base du continuum de toutes les violences sexistes et sexuelles et même plus largement de toutes les violences de notre société, qu’elles soient liées au genre ou aux autres critères de discrimination. Il est donc important de sensibiliser au travers des chiffres. J’ai lu par exemple un article dans le Journal du dimanche qui rapporte l’existence de 52 féminicides en France depuis le 1er janvier 2019… Comment est-ce possible ?! Comment peut-on se lever le matin et se sentir bien quand on pense que la moitié de l’humanité est oppressée ? Il est urgent d’avoir une prise de conscience globale, mais tout aussi locale, au niveau de la France. Beaucoup sont en effet dans le déni en argumentant qu’ailleurs ce serait pire… Mais nous ne sommes pas exemplaires sur le sujet ! Les chiffres prouvent cette triste réalité.

Comment rester optimiste ?

Il le faut, sinon on n’avance pas ! Et je sais aussi que les choses peuvent changer parfois au détour d’une rencontre, d’un livre, d’une conférence… Cela me donne de l’espoir. Je me rappelle par exemple à l’occasion d’un évènement organisé par la fondation FACE d’un jeune homme qui m’avait dit être dérangé par l’idée d’une femme mécanicienne. En le questionnant, on a fait émerger que le fait de penser à une femme mettant les mains dans la graisse venait entacher son idéal de beauté féminin. Puis, nous avons pris part à un tournoi de football et, au sortir, il est venu me voir pour me dire « merci, c’était super ! ». Je pense que ce type d’actions concrètes permet de faire évoluer les consciences.

Et puis, je constate aussi des situations qui n’étaient pas avant et qui me confortent dans mon optimisme. Comme cette fois à la gare, où après un échange étrange avec un homme qui m’avait alpaguée un autre homme est venu vers moi pour s’assurer que tout allait bien. Ou encore cette fois où je suis allée à la rencontre d’une dame qui venait de se faire agresser pour son vélo dans le centre-ville de Rennes et où très vite, nous étions quatre ou cinq autour d’elle à nous enquérir de son état. On se rend compte que lorsqu’une personne se mobilise, elle embarque les autres et cela permet de casser la dilution de responsabilité souvent constatée dans les transports en commun… Et ça aide aussi de savoir que l’on est pas seul·e !

Propos recueillis par Valentine Poisson

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