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L’amour est-il vraiment dans le pré ?

Cela fait maintenant un an que je suis l’heureux accompagnateur de nombreuses OP laitières (organisations de producteurs de lait) dans les négociations commerciales dont elles ont la charge. Les choses se sont accélérées depuis la loi EGALIM 2, et bien que celle-ci soit souvent mal comprise, elle a eu pour effet de mettre en évidence certaines pratiques qui biaisent totalement les négociations agricoles et que je m’efforce de faire évoluer : 

  1. Négocier à l’envers : la plupart des OP n’ont pas de CGV (conditions générales de vente), elles sont donc soumises à une négociation où tout est inversé. Ce sont les industriels qui fixent le prix d’achat de façon quasi unilatérale et souvent sur la base de ce qu’ils payaient l’année précédente. Imaginez que lors de votre prochaine visite en supermarché, vous passiez en caisse et au moment de payer, c’est vous qui fixiez le prix sans tenir compte de ce qui est affiché  
  2. Négocier sans pouvoir faire changer les choses : les producteurs et les OP qui les représentent ne facturent pas leur lait… Ce sont les acheteurs industriels qui émettent les factures à leur place.  Pour poursuivre notre exemple, vous êtes toujours à la caisse et pour vous assurer que tout le monde soit d’accord, vous fixez le prix ET vous établissez le ticket de caisse en tapant vous-même le montant sur la machine   
  3. Négocier, enfin presque : le prix d’achat, fixé par les industriels, est construit sur la base d’une formule, souvent un MIX PRODUIT (part de commercialisation Française, européenne, de lait, de beurre, de poudre) qui les arrange… Vous êtes toujours dans ce super marché et quand la caissière vous demande pourquoi vous faites le choix de ce prix pour vos courses, vous lui expliquez que vous allez manger une partie de vos achats en France mais qu’une autre partie va vous servir lors d’un dîner avec des amis en Belgique et que comme certains produits sont moins chers là-bas, et bien vous appliquez le prix Belge plutôt que le prix Français   
  4. Négocier, mais en fait non : parfois, le fameux Mix ou la formule qu’utilisent les industriels pour fixer unilatéralement le prix d’achat se retourne contre eux… L’inflation n’aide pas beaucoup en ce moment et quand une formule ne donne pas le bon prix, et bien on change la formule  … Ou bien plutôt on ajoute une clause de modification qui permet de la faire varier. Et là, on observe certains acteurs particulièrement créatifs, voire carrément hors la loi, puisqu’ils décident d’un « coefficient d’alignement sur la concurrence »   (vous ne rêvez pas c’est bien écrit…). Mais non ! Ce n’est pas possible puisque les ententes sont interdites  … Et bien si ! Et cela ne semble même pas vraiment les gêner   
  5. Ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est négociable : mais pour mieux comprendre le niveau qu’atteignent certaines négociations, vous devez savoir qu’il existe un indicateur (la LOI EGALIM impose la publication d’indicateur pour les interprofessions) qui fait référence dans le lait. Il s’agit du prix de revient produit par le CNIEL (4 collèges y sont représentés : producteurs, coopératives, transformateurs et GMS) et qui a le mérite de mettre d’accord tous les acteurs de la filière puisqu’ils signent ce prix comme une référence nationale… Si cet indicateur est essentiel à l’heure actuelle, il pose certaines questions quant à la négociation :
  • le fait que ce prix de revient moyen soit calculé sur des données comptables datant de deux ans et donc à adapter avec d’autres indicateurs   
  •  le fait qu’intégrer ce prix dans les négociations revient à communiquer toutes les informations de production aux acheteurs   
  • le fait qu’il intègre les aides et subventions que perçoivent les agriculteurs et que ce sont donc les industriels qui les touchent presque directement en intégrant ce prix dans leur formule   

Et bien, malgré ces questions, malgré tous ces défauts qui sont autant de chances (merci JJ), et bien ces mêmes industries qui ont validé la solidité de cet indicateur ne manquent pas de créativité pour le remettre en question lors des négociations : 

  • “C’est une moyenne donc pas représentative de votre productivité” 

Mouais… quand tu achètes plusieurs centaines de millions de litres à des agriculteurs partout en France, j’imagine que le principe de la moyenne se tient quand même un petit peu   

  • “Le calcul de cet indicateur prend en compte la valeur de deux SMIC pour votre production et on sait que vous vous payez moins que ça !” 

WHAT!!! Donc tu trouves que je suis trop gourmand en espérant deux SMIC pour 70 heures de travail par semaine sans congés ni week-end ?   

  • “ C’est un truc de Parisiens, d’autre indicateurs ne disent pas la même chose” 

Ouais sauf que tu as quand même été d’accord pour valider ce principe devant la presse et te féliciter qu’un tel travail soit réalisé en France.   

La bonne nouvelle c’est que les choses changent… doucement mais elles changent. De plus en plus d’acteurs entendent que c’est en travaillant main dans la main avec leurs partenaires, en dialoguant et en cherchant à comprendre les différents enjeux que nous pouvons avancer et co-construire des accords respectueux du travail de tous. Les contractualisations tri-partîtes sont un exemple en la matière et doivent être promues auprès de l’ensemble de la filière !  

Julien Ohana, associé fondateur

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