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Jean-Edouard Grésy
Valentine Poisson
Valentine Poisson
Les auteurs.es
27 juillet 2022
Temps de lecture : 4 min

LE DIGITAL À LA RENCONTRE D’UN FAIT SOCIAL TOTAL.

Le développement des technologies de l’information et de la communication a conduit à des mutations temporelles et spatiales fondamentales, ouvrant la voie de notre actuelle révolution digitale. Mais peut-on attribuer aux jeunes Y (et aux encore plus jeunes Z) le monopole de cette compétence digitale au détriment des séniors ?

LE DIGITAL VS. LE RÉEL = LES PLUS JEUNES VS. LES PLUS ÂGÉS ?

Oui, à en croire les représentations de l’imaginaire collectif : une étude sur les stéréotypes générationnels révèle que 55% des Y se perçoivent comme axés vers les nouvelles technologies, alors que les quadras n’évoquent ces compétences qu’à 11% pour leur génération et les séniors à 2% pour la leur.

Mais n’oublions pas que l’âge est une donnée biologique manipulée et manipulable, et que les divisions entre les âges sont arbitraires. Comme le souligne le sociologue Vincent Caradec, l’âge en tant que coordonnée sociale renvoie de fait à une double réalité :

  • D’une part c’est être à un moment donné de son parcours de vie (avoir 25 ans et un statut de jeune salarié, ou en avoir 55 avec une longue expérience de vie derrière soi) ;
  • D’autre part c’est inscrire sa naissance sur une temporalité particulière, et donc auprès d’une génération déterminée (ce qui amène certains à grandir avec la télévision, d’autres avec une tablette tactile).

Plus jeunes et plus âgés diffèrent donc doublement : par leur âge, c’est-à-dire leur place dans le parcours de vie, et par leur appartenance générationnelle. Ainsi, l’arrogance n’est pas constitutive de la génération Y : si elle bouscule aujourd’hui les lignes par la force de ses questionnements, c’est à sa jeunesse qu’elle le doit. 

L’incompréhension générationnelle n’aide donc pas, et à l’exaspération des vieilles branches face à l’impétuosité des jeunes pousses, s’ajoute une nouvelle donne contextuelle : en matière digitale, le maître d’hier est souvent l’apprenti d’aujourd’hui. Les plus âgés ont donc à apprendre des plus jeunes, ce qui peut constituer une source de frustration pour les premiers, et un terreau propice à la suffisance des seconds. Néanmoins, les jeunes générations ne doivent pas négliger non seulement les savoirs et savoir-faire de leurs aînés mais aussi et surtout les savoir-être au cœur de la coopération et de la qualité de nos relations aux autres.

UN UNIVERS VIRTUEL, UNE SOLITUDE RÉELLE …

On commence à s’interroger sur l’objet même de ce nouveau monde numérique, qui ne se définit pas par son chiffre d’affaires, mais par sa capacité à établir des connections entre les utilisateurs (à l’instar de la course aux likes). Les réseaux sociaux impactent notre manière d’être en lien aux autres, et malgré la facilité qu’ils offrent pour communiquer, les Français n’ont jamais été aussi seuls. En effet, l’édition 2021 de l’étude de la Fondation de France sur les solitudes révèle que 7 millions de Français sont en situation objective d’isolement : c’est 3 millions de plus qu’en 2010 !

Sources de comparaison et de sollicitations permanentes, les réseaux sociaux mal utilisés peuvent générer de l’addiction, du mal être et paradoxalement de l’isolement. S’il est indéniable que les NBIC ont contribué à l’émergence d’une révolution économique, politique et sociétale, elles ne remplissent pas leur ambition quand elles se proclament également facilitantes du vivre ensemble.

Il paraît donc absolument nécessaire de faire dialoguer ce qu’il y a de plus moderne (le digital), et de plus archaïque : le don. Marcel Mauss a montré dans son Essai sur le don en 1925 que les rapports sociaux ne sont pas fondés sur le troc, le contrat ou encore le donnant-donnant, mais bien sur le don. Y circule des informations, des émotions, de l’entraide, des moments de convivialité, des compliments… Autant d’éléments nécessaires pour pouvoir se fier aux uns et aux autres, pour constituer un collectif agile et innovant, et enfin pour briser les silos.

Dans l’imaginaire collectif, les plus jeunes auraient ainsi à apprendre de leurs aînés, puisque d’après les stéréotypes les plus courants : « ils ne communiquent pas, sont chacun avec leur portable et ont ce côté individuel dans l’entreprise ».

LES DIFFÉRENCES GÉNÉRATIONNELLES : UNE OPPORTUNITÉ ESSENTIELLE

La vie est complexe, et pour résoudre cette complexité, il s’agit d’appréhender les dialectiques de l’existence en raisonnant avec le ET et non le OU, pour reprendre les écrits d’Edgar Morin : « c’est dans cette dialectique du complémentaire et de l’antagonisme que se trouve la complexité ».

L’explosion exponentielle des NBIC nous place à un tournant de l’humanité. Il ne s’agit pas d’être nostalgiques d’un paradis perdu, mais de saisir que pour parvenir à surmonter notre vulnérabilité dans cette grande transformation, Z, Y, X et séniors ont à s’apporter mutuellement. Un fait économique irréversible (le digital) vient percuter un fait social immuable (le don), et chacun d’eux apporte une partie de la réponse du monde de demain. Se limiter au digital, c’est prendre le risque de s’isoler et de rater la mobilisation de ses partenaires. Se limiter au don, c’est prendre le risque de perdre en employabilité et en performance. D’où la nécessité de promouvoir l’inclusion et d’enrichir le travail par la complémentarité des différences en tirant un bénéfice mutuel de ces frictions intergénérationnelles.

Jean-Edouard Gresy et Valentine Poisson

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