Valentine Poisson
Valentine Poisson
26 juin 2018
Temps de lecture : 3 min

L’intelligence est collective… l’absurdité aussi !

 

L’intelligence collective est le produit d’une capacité à comprendre et à penser ensemble, à partager un savoir pour construire une pensée commune. Mais les fruits de cette fameuse intelligence peuvent se dessécher et générer des décisions totalement absurdes !

Quatre collègues plutôt brillants sont invités à monter un projet d’intrapreneuriat. Ils doivent donc coopérer dans une relation d’interdépendance : en effet, le projet se destine à être validé collectivement… ou pas.

Alors qu’ils sont tous quatre très enthousiastes, la soutenance qui a lieu trois mois plus tard est un échec cuisant : au grand étonnement de tous, les idées sont pauvres, le document est bâclé et le projet est unanimement rejeté par le CODIR. Mais comment l’association de ces quatre talents a-t-elle pu produire un bilan aussi médiocre sans que la valeur intrinsèque de chacun puisse être remise en cause ?

À l’ère de l’entreprise libérée, le « tout-CO » déferle sur les entreprises : on CO-construit, on CO-opère, on CO-agit et on CO-décide dans un idéal de démocratie participative. L’idée de casser les pyramides traditionnelles pour placer le collectif au cœur des enjeux de l’entreprise n’est pas mauvaise. Croire en revanche que la solution apportée sera meilleure parce qu’elle émane du collectif est bien naïf.

La collégialité des décisions n’est pas un gage d’exactitude, loin s’en faut ! Les collectifs qui ne sont pas ou peu préparés à la coopération aboutissent souvent à des dérives produisant l’inverse des résultats escomptés : sous-performance, opinions erronées voire décisions contre productives ! Retrouvons nos quatre intrapreneurs en herbe. Ces derniers sont victimes du syndrome de la paresse sociale, un biais collectif de performance qui affaiblit l’engagement individuel de chacun dans un groupe.

Cette paresse sociale pourrait-elle être due à un défaut de coordination ? Prenez deux collaborateurs dans une équipe et faites-les travailler sur la même tâche sans se concerter : et voilà bien des efforts de gâchés ! Ou peut-être les 4 intrapreneurs percevaient-ils une trop faible rentabilité de leur effort individuel ? Pourquoi fournir un effort important, potentiellement non récompensé, si l’on doute que les autres en feront de même ? Ou bien encore serait-ce une dimension plus affective, voire narcissique, qui serait à l’œuvre ? S’il est impossible de s’attribuer la responsabilité de l’échec ou de la réussite d’un projet, alors à quoi bon s’investir ? En effet, plus le groupe est important, plus la responsabilité individuelle est diluée : un joueur de rugby est ainsi à 7% responsable de l’issue d’un match et l’électeur de 2002 qui ne s’est pas déplacé au premier tour pour voter n’est qu’à 0,00000003 % responsable de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour !

Cela devrait nous donner à voir qu’au-delà des biais individuels qui ont déjà été bien étudiés, il existe aussi nombre de biais de groupe, ou biais collectifs. Et la paresse sociale n’est pas un cas isolé ! Citons entre autres :

  • L’excès de compétition ou comment le collectif peut, à l’inverse de la paresse, générer des rivalités excessives ?
  • Le conformisme, ou comment la norme du groupe dicte sa loi aux dissidents ?
  • La soumission à l’autorité, ou comment l’on peut être amenés à obéir aveuglément ?

La dynamique coopérative doit ainsi être réfléchie à l’aune de ceux qui la composent : des femmes et des hommes, avec tous leurs enjeux et leurs mécanismes psychologiques. Elle doit aussi être questionnée : est-ce que l’être humain aime coopérer ? En a-t-il déjà envie ? Et y est-il vraiment préparé ?

Ces questionnements en induisent d’autres : comment stimuler des attitudes qui ne sont pas naturelles ? Quelles sont les dérives des collectifs mal préparés à la coopération ? Pour apprendre à penser, fonctionner et décider, en bref, pour devenir (vraiment) intelligent, les organisations et start-ups qui se veulent plus libérées doivent impérativement prendre un peu de recul pour se donner les moyens de cette bonne direction.

Valentine Poisson

Illustration par Anouk Scharnitzky

Intelligence collective

Les paradoxes de la coopération

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