Valentine Poisson
Valentine Poisson
15 mars 2021
Temps de lecture : 4 min

Pourquoi l’orientation sexuelle n’est pas qu’une question de vie privée ?

« À mon avis l’orientation sexuelle et la confession religieuse d’une personne ne devraient pas être considérées dans la diversité d’une entreprise car cela appartient à la sphère du privé. »

Ce commentaire, issu d’une étude sur la diversité et l’inclusion que nous avons menée en février 2021 (dans un périmètre français), est emblématique d’un des principaux freins que rencontre l’inclusion LGBT+ en entreprise. Ce sujet, comme celui des convictions religieuses ou encore celui de la situation de famille, est en effet par beaucoup considéré comme étant uniquement circonscrit au domaine de la vie privée. Il n’aurait donc pas sa place en entreprise.

Alors, pourquoi il est intéressant pour l’entreprise de s’emparer de la question LGBT ?

Il existe dans le code du travail français 25 critères de discrimination (article L1132-1) vis-à-vis desquels il est interdit de discriminer au sein des entreprises. Parmi ces critères, on retrouve l’orientation sexuelle (depuis 2004) et l’identité de genre (depuis 2012). Cela signifie donc que l’entreprise est tenue par une obligation légale d’assurer un principe de non-discrimination sur ces deux critères (ainsi que sur les 23 autres).

Cela implique notamment :

  • De garantir que les règles et procédures de l’entreprise ne permettent aucune discrimination sur ces fondements ;
  • Que des process soient mis en place pour remonter les cas d’agissements LGBTphobes rapportés par un collaborateur ;
  • Que des mesures soient prévues pour sanctionner les comportements discriminatoires, les agressions verbales ou physiques, les propos insultants ou les harcèlements en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre.

Certaines lois portent par ailleurs spécifiquement sur la question LGBT+ en entreprise. L’article L1132-3-2 du code du travail stipule ainsi qu’« aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir refusé en raison de son orientation sexuelle une mutation géographique dans un État incriminant l’homosexualité ».

Parce que notre identité ne se dissocie pas entre vie pro et vie perso

Notre bagage identitaire ne dépend pas de notre environnement : ce n’est pas quelque chose que l’on peut déposer sur le porte-manteaux en arrivant au bureau et récupérer le soir en partance pour sa vie perso. Nous ne sommes qu’une seule et même personne et il serait illusoire, voire violent, d’imposer ou de s’imposer de cacher une partie de notre identité en fonction du contexte. Et pourtant, en 2020, seulement 43% des salariés LGBT sont « out » au travail.

Le déni identitaire peut faire des ravages en entreprise :   

  • Le fait de devoir cacher une partie de son identité demande un effort cognitif important. L’autorégulation comportementale, coûteuse en concentration, en attention et en contrôle, peut provoquer un stress et placer l’individu dans une surcharge mentale au détriment de ses performances cognitives et intellectuelles. En d’autres termes, les efforts déployés pour ne pas « sortir du placard » sont des ressources qui ne sont pas investies sur le travail.
  • Ce déni peut aussi créer un état de frustration qui peut vite être vécu comme une véritable violence morale. Le tabou de l’orientation sexuelle en entreprise est un terreau favorable à l’expression de propos LGBTphobes, qui prennent souvent la forme de micro-agressions teintées d’humour : « allez, fais-pas ton pédé ! ». Lorsque l’on ne se sent pas en mesure de réagir, le sentiment d’impuissance affaiblit l’estime de soi et peut conduire à de l’autodénigrement, si l’on se sent obligé de rire à la blague par exemple. Le déni peut aussi provoquer un sentiment de culpabilité, car plus on cache son identité, plus notre cerveau accepte implicitement l’idée qu’il y a lieu d’en avoir honte.
  • Un environnement professionnel qui ne laisse pas de place à l’identité LGBT+ ne permet pas non plus de faire évoluer les mentalités. S’il n’est pas possible d’être « out » au travail, la rencontre des diversités n’a pas lieu. Or, il n’y a que cette confrontation des multiples réalités qui puisse améliorer la compréhension interpersonnelle entre hétéros et LGBT (et déconstruire quelques stéréotypes au passage).
  • Enfin, l’invisibilité de la question LGBT+ peut nuire à l’attractivité de l’entreprise. À l’ère où l’information circule plus vite que la lumière, le climat social des entreprises n’a plus de secret pour les réseaux sociaux et ce, au bénéfice ou au détriment de la marque employeur. La sortie de piste homophobe de Guido Barilla en 2013 a par exemple fait fuir de nombreux talents LGBT et alliés (et probablement quelques consommateurs)…       

Pour assurer une équité de traitement

Enfin, la visibilité LGBT+ en entreprise est nécessaire pour assurer une forme d’équité de traitement. Cela concerne les formalités administratives (pour obtenir des jours de congés suite à un mariage par exemple), mais aussi la liberté d’expression des salariés. Pour le comprendre, il est très important de ne pas confondre orientation sexuelle et vie sexuelle.

Lorsqu’est avancée l’idée que « l’orientation sexuelle est une question de vie privée », c’est en réalité la question des pratiques sexuelles qui est sous-tendue. Il ne fait pas de doute que ce sujet relève de l’intime et n’a pas sa place au travail en dehors des relations interindividuelles négociées (comme deux collègues pouvant nouer un lien d’amitié). L’open-space n’est pas le lieu pour parler de ce type de performances, qu’elles soient d’ailleurs LGBT ou hétéro.  

L’orientation sexuelle ne se rapporte donc pas (nécessairement) aux récits sexuels, mais aussi (et surtout) à bien d’autres types de conversations qui ont, elles, toute leur place autour de la machine à café :
– « Émilie s’est cassé la jambe pendant nos vacances au ski »,
– « Je vais me marier ! »,
– « Il faut que je dise à Lucas d’aller chercher les enfants à l’école pour pouvoir assister à cette réunion tardive »

De simples phrases qui devraient pouvoir être librement exprimées indépendamment de son genre ou de son orientation. Un respect du cadre légal, une équité de traitement, de l’engagement, du bien-être et de la performance. Voici donc les enjeux qui font que l’entreprise doit aujourd’hui s’ouvrir à toutes les différences in extenso… Même celles relevant de la « vie perso » !   

Valentine Poisson

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