Stefanie Reetz Anaïs Koopman
Stefanie Reetz
Stefanie Reetz
Anaïs Koopman
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Les auteurs.es
18 juillet 2022
Temps de lecture : 6 min

Comment déconnecter pour de vrai cet été ?

Stefanie est directrice au sein du cabinet AlterNego depuis huit ans. Avant d'intégrer le cabinet, elle a travaillé dans la fonction publique française et internationale. Convaincue de l'importance de la déconnexion et du bon maintien de l'équilibre des temps de vie, elle nous donne aujourd'hui, à l'approche des vacances d'été, quelques clés concrètes pour déconnecter sans devoir forcément en payer le prix, quel que soit le niveau hiérarchique.

Bonjour Stefanie, quelle est votre mission à travers votre travail ? 

Mes domaines de prédilection sont le management, la gestion de conflit et le développement personnel dans le cadre du travail. Ce qui m’anime depuis le début de ma carrière est d’aider les collaborateurs à s’écouter de façon active entre eux, à communiquer clairement, pour faire en sorte de prendre ensemble des décisions qui puissent contribuer à la réussite de tous. 

Ça veut dire quoi, pour vous, « déconnecter » du travail ? Et « déconnecter vraiment » ? 

Je dirais que « déconnecter » (tout court) du travail est une notion plutôt pragmatique : il s’agit d’avoir envie et d’être capable de couper les écrans, ne pas être tout le temps (trop) joignable. « Déconnecter vraiment », c’est plutôt savoir couper mentalement et émotionnellement, une fois qu’on a su se mettre en « mode avion ». En d’autres mots, déconnecter « pour de vrai », c’est ne pas laisser son esprit et son cœur au bureau et pouvoir se libérer de la charge mentale professionnelle pour se consacrer pleinement aux autres sphères de sa vie. 

En quoi déconnecter revient notamment à reprendre le contrôle sur son temps

D’abord, je pense qu’on ne contrôle jamais vraiment son temps. En revanche, on peut prendre le pouvoir sur ce qu’on fait de son temps, ainsi que prendre la responsabilité des choix que l’on fait. Cela revient à décider où l’on veut réellement être présent, où l’on désire sincèrement mettre son attention et ce, à chaque moment de sa vie. Autrement dit, c’est être au travail lorsqu’on veut et doit y être et être pleinement autre part – en famille, au sport, en vacances, etc. – c’est-à-dire faire sa vie sans être mentalement et/ou physiquement au travail : par « temps alloué au travail », j’entends être immergé dans une tâche, mais aussi penser à son travail, quelle que soit l’heure ou l’endroit. 

Pourquoi est-ce important de reprendre l’ascendant sur l’utilisation de son temps ? Comment faire concrètement ? 

En premier lieu, être maître de ce que l’on fait de son temps, c’est en quelque sorte être maître de sa vie, choisir ce qu’on veut vivre et l’assumer. En second temps, être vraiment présent, que ce soit dans sa vie professionnelle ou personnelle, c’est se donner les meilleures chances d’atteindre les bons résultats. 

Le premier petit pas pour y arriver serait de commencer par s’aider à prendre conscience de la manière dont on utilise son temps. Par exemple, on peut représenter la répartition de son propre temps à l’aide de cercles plus ou moins grands dessinés sur une feuille de papier. Une fois qu’on a une vision plus objective de la situation, on peut se poser les questions suivantes : « Est-ce que j’ai envie que ma vie, mon équilibre ressemble à ça ? Si non, qu’est-ce que j’aimerais, pourrais changer ? ». 

Est-ce si embêtant que ça de penser à son travail en dehors de 9h à 18h ? 

Cela dépend des fois. On peut être aussi bien contrarié par un mail que l’on reçoit alors que l’on n’est pas censé travailler et être contraint d’y penser, qu’avoir une idée brillante sous la douche et être enthousiasmé à ce propos. Chacun choisit le temps qu’il alloue à sa vie professionnelle : il n’y pas de durée idéale pour le bon fonctionnement de chacun, tant qu’on définit et respecte son propre rythme et que personne ne nous l’impose en faisant fi de la loi. Au fond, on n’a pas tous le même rythme biologique, les mêmes besoins et envies. L’important est de se poser la question, de savoir y répondre et in fine de bien se connaître. 

Justement, que dit la loi à ce propos ? 

La durée journalière, hebdomadaire et mensuelle de travail est définie par la loi (35 heures par semaine pour un employé à temps plein). Cela n’empêche pas la réalité d’être différente. Beaucoup d’entreprises encouragent, voire contraignent leurs collaborateurs à dépasser les horaires légales de travail. C’est notamment le cas lorsque les managers fixent des réunions après 18h30, lorsque la charge de travail demande aux employés de déborder sur le soir ou le week-end, quand on leur réclame un rendu le vendredi après-midi pour le lundi matin, ou encore si on leur envoie un mail tard ou le week-end sans forcément attendre de réponse de leur part, mais qui leur fera forcément penser au travail à un moment inopportun.

Dans ce cas-là, comment se libérer de la dépendance au boulot ? De la culpabilité de couper ?

Déconnecter du boulot peut être difficile et ce, pour diverses raisons. Il y a d’abord une dimension individuelle : tout dépend de l’importance, de la place que prend le travail dans notre échelle de valeur, en fonction de notre parcours de vie, de notre éducation, de l’idée que l’on se fait du travail et de la réussite. Par exemple, une valeur élevée de loyauté peut  pousser à accorder une place démesurée au travail. 

Il y a aussi une dimension sociale à la dépendance au travail et à la culpabilité qui peut être ressentie au moment de déconnecter. On parle ici de « comparaison sociale ». Tout dépend en effet de la manière dont fonctionne le reste de son équipe : sont-ils très, voire trop présents au boulot ? La culture d’entreprise valorise-t-elle le présentéisme poussé à l’extrême ? « Faire de gros horaires » est-il synonyme de « être un bon employé » ? Y a-t-il une règle tacite, qui fait que l’ensemble de l’entreprise est tenue d’être disponible de façon quasi continue ? 

Face à ces freins à la déconnexion, l’enjeu est donc une fois de plus de se connaître et d’agir en fonction, puis d’accepter que le fait de prendre davantage de temps hors du bureau ou de sa boîte mail puisse éventuellement générer des conflits… en sachant que parfois, on peut confondre son propre jugement – par exemple, lorsqu’on n’a pas l’habitude de s’autoriser à déconnecter – avec le jugement des autres. De plus, il suffit aussi qu’une première personne ose agir différemment pour que les autres puissent saisir des espaces de liberté à leur tour. 

Les collaborateurs ont donc un certain rôle à jouer dans une culture non-propice à la déconnexion ? 

Oui, mais tout dépend du risque que l’on est prêt à prendre en tant qu’employé : est-ce qu’on préfère prendre le risque d’être mal vu, que le fait de déconnecter davantage soit mal pris, ou de ne pas être clair avec soi-même ? De ne pas (faire) respecter ses limites ? Est-ce que je préfère ne rien dire et que rien ne bouge, ou prendre le risque de passer pour un collaborateur pas assez engagé… ? Pour commencer, si on choisit de se lancer, je conseille de poser le constat avec son responsable ou les RH d’un potentiel décalage entre la charge de travail, la charge mentale et/ou la charge émotionnelle demandée, versus le temps légalement alloué au travail. 

Et il ne faut pas oublier que l’inverse est aussi vrai : il est important que chacun sache à quoi il est légalement tenu. Cette question n’est pas uniquement du ressort du management et des ressources humaines. Respecter le cadre de travail prescrit est aussi la responsabilité des collaborateurs. Par exemple, il ne s’agit pas d’aller faire ses courses au milieu de l’après-midi et de ne pas être joignable au moment où on devrait l’être. 

Comment les employeurs et RH peuvent-ils encourager concrètement la déconnexion de leurs collaborateurs ? 

Les responsables peuvent agir à plusieurs niveaux dans le sens de la déconnexion. D’abord, les managers sont les premiers à pouvoir montrer l’exemple en adoptant une posture ouverte à la déconnexion – qu’elle soit digitale, mentale ou émotionnelle – pendant les vacances. Souvent représentatifs de la culture de l’entreprise, ils se posent en modèles.

De plus, le management doit veiller à ce que le temps et la charge de travail demandés soient adéquats. En cas de décalage ou de débordement, c’est leur rôle de rectifier le tir pour s’assurer que leurs collaborateurs peuvent avoir suffisamment de temps pour accomplir l’essentiel de leurs missions, le niveau de compétences et/ou appétences nécessaires pour les remplir dans le temps alloué et/ou la nécessité d’un accompagnement ou d’une formation le cas échéant. Enfin, si un collaborateur relève le besoin de déconnecter, il est primordial qu’il soit entendu et que l’on puisse répondre à ce besoin d’une quelconque manière. 

Au niveau des ressources humaines et de la direction plus globale de l’entreprise, il est important de partager une volonté sincère d’encourager le droit à la déconnexion et l’équilibre des temps de vie. Et en plus d’une communication claire, il faut aussi  mettre les moyens structurels en face des paroles tenues. Cela peut passer par des choix assez radicaux, comme bloquer les mails à partir d’une certaine heure, ou par des actions plus nuancées mais toutes aussi précises, comme passer un accord de négociation avec les syndicats dans laquelle la politique de l’entreprise par rapport à la déconnexion est détaillée. Tout cela peut notamment nécessiter une formation de la direction et des RH et/ou des actions de sensibilisation au niveau de l’organisation tout entière. 

Est-ce difficile selon vous d’accepter la non-maîtrise et le lâcher prise ? 

Selon moi, plus on s’entête, moins cela fonctionne, surtout pour des tâches nécessitant de la créativité, de nouvelles idées, versus des actions plus répétitives. Dans le premier cas, mieux vaut apprendre à poser son esprit de temps à autre, pour qu’il puisse nous livrer des idées lorsqu’elles sont prêtes, et pas forcément lorsqu’on aimerait qu’elles arrivent. Dans ce sens, déconnecter, c’est aussi s’autoriser à appuyer sur « pause » et à laisser sa boîte mail ainsi que son mental se reposer. C’est lever la tête du guidon, prendre de la hauteur et se laisser inspirer par la situation, plutôt que tenter de la dominer à tout prix. C’est se laisser la liberté de trouver des réponses… pas forcément où on les cherchait au départ. 

Propos recueillis par Anaïs Koopman

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