Pierre-Yves Goarant Clémentine Buisson
Pierre-Yves Goarant
Pierre-Yves Goarant
Clémentine Buisson
Clémentine Buisson
Les auteurs.es
4 mai 2023
Temps de lecture : 4 min

Le syndicalisme, un truc de vieux ?

Le soulèvement populaire généré par la réforme des retraites, et notamment chez les plus jeunes, remet en perspective l’attractivité des syndicats. Car si 10% des salariés en France sont syndiqués… Seulement 2,7% des salariés de moins de 30 ans adhèrent à une organisation syndicale en France aujourd’hui.

« Plus on vieillit, plus on se syndique. » On a beau connaitre cet effet générationnel de l’engagement syndical, il semble aujourd’hui incertain que les jeunes salariés répondent aux mêmes tendances que leurs ainés. Autrement dit, rien ne garantit le fait que les actifs de 35 ans seront plus nombreux à être syndiqués en 2040. Les syndicats sont donc face à un problème de représentativité. Alors comment expliquer ce phénomène de moindre attractivité des organisations syndicales chez les plus jeunes ? Décryptage par Pierre-Yves Goarant et Clémentine Buisson, experts Alternego.


La sous-représentativité des plus jeunes chez les syndicats : des causes structurelles spécifiques


Aujourd’hui, les salariés de moins de 30 ans ne représentent pas une masse uniforme au sein des organisations syndicales. Néanmoins, certaines tendances les distinguent et peuvent en partie expliquer cette dynamique de raréfaction.

Une insertion difficile 

Pour la majorité des jeunes -et notamment les moins diplômés- l’insertion durable dans l’emploi passe par plusieurs années de précarité. La multiplication des stages et contrats courts rend difficile l’engagement syndical. Et pour cause, parmi les jeunes de 15 à 24 ans qui travaillent, plus de la moitié ont un emploi précaire, contre 17 % au début des années 1980. Pour les 25-49 ans, le taux de précarité est passé de 3 % à 10 %.

Une méconnaissance de la culture syndicale

Ciment pourtant essentiel à la compréhension du Dialogue Social et de ses enjeux, la culture syndicale et plus généralement du monde du travail est souvent faible car peu abordé dans leur formation initiale. Ce savoir élémentaire est alors souvent remplacé par des préjugés fondés sur une médiatisation à outrance et peu pédagogique des mouvements sociaux.

Une peur de la stigmatisation en début de carrière

Bien que le droit du travail protège l’engagement syndical, il reste perçu comme un risque réputationnel fort et donc un risque pour le développement de la carrière. Cette peur de la stigmatisation peut donc être d’autant plus importante lorsque tout reste à construire, même s’il peut ne s’agir que d’une adhésion (qui peut rester secrète au même titre que l’adhésion à un parti politique).

Des tendances globales qui ne concernent pas seulement les jeunes

Si les moins de 30 ans sont nombreux à s’en éloigner, il semblerait que leur désamour pour l’engagement syndical ne soit pas uniquement dû à leur condition de « jeunes ». Ces derniers répondent aussi à des tendances qui concernent l’ensemble de la population. À commencer par…


Un enthousiasme pour l’engagement syndical limité en France


Le taux de syndicalisation stagne depuis les années 1980 après avoir chuté à partir des années 1970. Plus problématique encore, 63% des Français déclarent ne pas avoir confiance dans les syndicats. Bien que ces perceptions puissent avoir changé compte tenu de l’adhésion populaire au mouvement social en cours ces tendances s’inscrivent depuis plusieurs décennies.

Des emplois précaires

L’augmentation du nombre d’emplois atypiques, globalement et plus fortement chez les jeunes rendent l’engagement syndical moins évident (changements fréquents d’employeurs, relations triangulaires du travail à travers l’intérim, CDD). Les salariés en intérim sont seulement 1% à se syndiquer et ceux en CDD sont 2%.

Une remise en question de la place du travail

En 1990, 60% des Français répondaient que le travail était « très important » dans leur vie. Ils ne sont plus aujourd’hui que 24% à donner cette réponse.

Des élus moins présents

Un militantisme de proximité qui s’efface avec des élus moins présents sur le terrain poussés par la professionnalisation du syndicalisme. Cette proximité permet pourtant de nourrir un dialogue continu et informel entre les organisations syndicales et les collaborateurs et peut donc être source d’adhésion.

Un engagement pour les enjeux de société toujours bien ancré chez les jeunes

Pour autant, il serait faux de conclure que les jeunes salariés sont indifférents aux enjeux qui impactent le monde du travail. Car le terrain fertile à l’engagement syndical, lui, est bel et bien présent.

– 65 % des 18-30 ans se disent prêts à renoncer à postuler dans une entreprise qui ne prendrait pas suffisamment en compte les enjeux environnementaux.

60% des moins de 35 ans attendent de l’entreprise qu’elle propose des mesures d’articulation des temps de vie.

– 80% des jeunes diplômés, n’ont pas envie de rejoindre une entreprise qui ne garantit pas l’égalité salariale.

Finalement, dans un contexte où les syndicats perdent peu à peu leur rôle de garde-fous du dialogue social, où les contestations s’organisent en dehors de ce cadre, il semble nécessaire de (re)mobiliser les jeunes actifs autour de la question syndicale. Non pas en essayant d’accroître le nombre d’adhérents comme on irait chercher des électeurs. Mais bien en construisant le travail d’aujourd’hui en pensant à celui de demain. Autant pour l’État, que pour les entreprises et les organisations syndicales, il devient donc urgent et nécessaire d’impulser la légitimité du dialogue social comme régulateur des évolutions du travail. Afin que les syndicats puissent assurer leurs missions et répondre aux enjeux à venir, avec en leur sein ceux qui effectueront le travail de demain.

Clémentine Buisson et Pierre-Yves Goarant, avec la précieuse relecture d’Elise Assibat

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