news & futur

Uniforme : faut-il se conformer pour favoriser l’inclusion ? 

Voilà plusieurs mois que le sujet de l’uniforme anime les débats. Et pour cause, le premier ministre Gabriel Attal a annoncé le 6 décembre dernier l’arrivée d’une prochaine « expérimentation de grande ampleur » pour une durée deux ans. Les écoliers, collégiens et lycéens des quelques communes concernées devront ainsi porter l’uniforme de manière à tester son « efficacité ».  

L’objectif derrière ce projet ? Instaurer une tenue unique pour gommer les marqueurs de différence et notamment les signes extérieurs de richesse. Partant de cette idée, l’uniforme serait une solution idéale pour lutter contre les discriminations relatives à l’origine sociale. Et donc un véritable vecteur d’égalité des chances et d’inclusion. Alors, l’uniforme : vraie ou fausse bonne idée en matière d’inclusion à l’école ? Et en entreprise ? Décryptage. 

Unicité et appartenance : nos deux besoins identitaires 

Nous sommes tous des êtres singuliers par notre histoire, notre personnalité, nos appartenances de groupes (générations, nationalités, genres…), nos sensibilités, nos névroses ou encore de par nos appétences. Pour devenir une richesse, cette diversité appelle à être reconnue, respectée et valorisée. Nous sommes donc tous uniques et pour nous sentir bien, nous avons besoin que cette « unicité » soit reconnue. Et pour exprimer notre personnalité, quel magnifique terrain que notre apparence physique ! Le style vestimentaire, tout comme la coupe de cheveux, les tatouages ou les piercings sont donc de magnifiques vecteurs pour faire reconnaître notre singularité.  

Pour autant, nous sommes aussi des êtres sociaux, et nous nous inscrivons donc dans des groupes d’interactions : l’école où nous étudions, l’entreprise où nous travaillons, le pays ou encore la ville où nous vivons… Ces écosystèmes sont régis par des cultures, des rituels et des normes explicites et implicites. Pour nous sentir inclus, nous avons donc aussi besoin de nous sentir appartenir et de partager des codes et des valeurs avec ces instances de socialisation. C’est le ciment de la cohésion !  

Ainsi, nous avons besoin de répondre à ces deux besoins identitaires fondamentaux pour nous sentir à l’aise en société : celui de se sentir unique et celui de se sentir appartenir. Ces deux besoins peuvent de prime abord paraître contradictoires, mais c’est pourtant seulement lorsqu’ils sont réunis que nous pouvons trouver un équilibre identitaire ! Premier élément de réponse à notre question donc : en gommant les différences pour instaurer un cadre vestimentaire commun, l’uniforme semble répondre parfaitement à notre besoin d’appartenance au groupe… Mais pas à notre besoin de nous sentir unique ! Alors que risque-t-on à se conformer ?  

Le conformisme, symptôme d’un environnement non-inclusif 

Plus le poids des normes sociales s’impose à nous (ou plus nous sommes désireux d’adopter ces normes sociales), et plus le risque est grand de produire du conformisme. Car si le sentiment d’appartenance est une condition essentielle à l’inclusion, le conformisme en revanche est le symptôme évident d’un environnement dysfonctionnel en matière d’inclusion. Et les dérives qui en découlent peuvent être nombreuses, notamment : 

  • L’assimilation : lorsque nous sommes poussés à adopter la norme du groupe, nous perdons toute la richesse de notre diversité, le risque étant de converger vers une « pensée unique » ; 
  • L’exclusion : toute écart à la norme ressortira d’autant plus fortement, et sera ainsi susceptible d’être lourdement sanctionné par le groupe, devenu intolérant à la différenciation ; 
  • Le rejet : plus nous nourrissons notre identité par notre appartenance sociale et plus nous avons besoin de valoriser nos groupes d’appartenance, et par effet miroir de dévaloriser les autres groupes pour pouvoir nous sentir bien. Cela peut alimenter des mécaniques de communautarisme, d’entre-soi et d’intransigeance à l’égard des « autres ».  

L’uniforme, pourquoi pas… Mais pas seulement ! 

En produisant du conformisme, l’uniforme empêcherait-il donc l’inclusion ? Pas forcément ! À condition néanmoins d’octroyer aux individus une marge de manœuvre pour exprimer leur individualité et leur personnalité et ainsi répondre à leur besoin d’unicité.  

À l’école, cela peut par exemple se traduire par le fait de laisser le choix aux élèves parmi un set de différents modèles d’uniformes, ce qui favorise la personnalisation et permet aussi de mieux adapter sa tenue à sa morphologie ou aux coupes de vêtements qui nous mettront le plus à l’aise. La plupart des écoles proposent ainsi aux filles un modèle de « jupe courte » et un modèle de « jupe longue » (l’idéal serait bien sûr de leur proposer aussi la version « pantalon »…). Cela permettrait de répondre à notre besoin d’être « indifférenciés » (avec un modèle vestimentaire standardisé) tout en restant uniques et singuliers !  

Mener une réflexion plus poussée sur l’inclusion à l’école 

Néanmoins, un point de vigilance s’impose. En effet si les élèves ne peuvent plus marquer leurs différences sociales par le vêtement, cette différenciation risque de glisser vers d’autres espaces de l’apparence physique : chaussures de marque, bijoux, accessoires (comme les smartphones)… Et ainsi rendre vainc les efforts d’uniformisation vestimentaire.  

Toute la réflexion sur l’uniforme scolaire part du présupposé selon lequel une plus grande ressemblance entre les individus amènerait une baisse de la conflictualité, c’est-à-dire moins de discriminations fondées sur l’origine sociale. Mais la ressemblance – ou l’absence de diversité – est-elle vraiment un synonyme d’absence de conflit ? Et si non, comment lutter alors contre les discriminations sociales à l’école ? Il pourrait être plus pertinent, plutôt que de s’évertuer à gommer les différences, de s’attacher davantage à déconstruire le système de valeur accroché à ces différences. En d’autres termes, de faire entendre et comprendre que le fait de ne pas porter de vêtements de marque ne fait pas de nous des personnes de moindre valeur !  

Et alors en entreprise, de quel espace de liberté disposons-nous pour exprimer notre personnalité ? Et quelles en sont les limites ?  

L’entreprise et la liberté vestimentaire, une histoire d’équilibrisme   

Nombreux sont les secteurs professionnels à imposer un uniforme à leurs salariés (costume, blouse, tenue spécifique, insignes…) notamment lorsque nous travaillons en interaction avec la clientèle. Il faut savoir que d’un point de vue juridique, la liberté vestimentaire en entreprise n’est pas considérée comme une liberté fondamentale. Cela signifie concrètement que l’employeur est en droit de poser des restrictions vestimentaires aux salariés, pourvu que celles-ci soient légitimes et proportionnées par rapport au but recherché. Généralement, il s’agit d’enjeux de sécurité (par exemple, chaussures de sécurité), d’hygiène (par exemple une charlotte et un tablier quand on travaille au contact de la nourriture) et d’image de marque par rapport aux clients de l’entreprise.  

Mais au-delà de « l’évident », les choses se compliquent. Car pour évaluer le caractère légitime et proportionné de toute restriction vestimentaire (ou plus largement physique), la difficulté est que nous sommes amenés à nous positionner sur des normes contextuelles. Autrement dit, une tenue qui sera appropriée dans un environnement professionnel ne le sera pas dans une autre ! Chaque organisation insuffle une culture qui lui est propre, et interagit également avec d’autres écosystèmes qui viennent avec leurs lots de normes sociales qui s’imposent aussi aux salariés. Un arrêt de la cour d’appel de Paris a ainsi statué en 2011 en défaveur d’un salarié d’une entreprise de sécurité qui s’était présenté en jean troué, t-shirt et veste de treillis chez un client de son employeur. Cette tenue a donc été jugée trop en décalage avec les normes de représentation dudit client, mais n’aurait peut-être pas posé problème face à un autre type de client.  

Au-delà d’être contextuelles, toutes ces normes sont aussi implicites : nous sommes censés les connaître mais elles ne sont écrites nulle part, ce qui les rend assez difficilement objectivables. À partir de combien de centimètres une jupe peut-elle être considérée trop courte ou trop longue ? Difficile de répondre ! L’intégration de ces normes sociales implicites est d’ailleurs une des principales difficultés quand nous arrivons dans une nouvelle entreprise. Cravate ou pas cravate ? Les baskets sont-elles autorisées ? Peut-on se « relâcher » un peu le vendredi ? Quel niveau standing observer face au client ? Autant de questions auxquelles nous ne pouvons répondre qu’en analysant les comportements des collègues pourvus d’un certain niveau d’ancienneté (ou en les interrogeant, plus simplement).  

Toute norme est à considérer comme un intervalle, c’est à dire composée de deux bornes. L’enjeu pour les entreprises est donc d’une part de garantir la liberté des salariés à l’intérieur de cet intervalle (via un respect sans faille du principe de non-discrimination). Et d’autre part de parvenir à en étirer un peu les bornes pour intégrer une plus grande diversité de profils tout aussi compétents, tout en veillant à assurer les conditions d’une bonne cohésion : c’est là la clé de l’inclusion !   

Thématiques

Pour aller plus loin

Burn-out : quand le déni camoufle la souffrance au travail

La semaine de 4 jours Une mesure de réduction du temps de travail ?

Télétravail : quand l’hybridation devient la solution

La semaine de 4 jours : réinventer la fonction du cinquième

La semaine de 4 jours et les inégalités sociales

La semaine de 4 jours : une mauvaise réponse à de bonnes questions ?

La réalité des «quits» : Vers de nouveaux curseurs d’acceptabilité

Politique Diversité et Inclusion : faites parler vos données RH !