Valentine Poisson
Valentine Poisson
10 juin 2020
Temps de lecture : 5 min

Le « racisme anti-blancs » : mythe ou réalité ?

Les vies noires comptent. Black lives matter.

« Oui mais, et les autres vies alors ? » s’empressent de relativiser certains sur les réseaux sociaux. « Toutes les vies comptent : All lives matter ». Le propos est indubitablement vrai mais le discours qu’il sert n’est pas moins dangereux. Ce discours, qui consiste à minimiser la lutte antiraciste en l’enfermant dans une universalité douteuse n’est pourtant pas nouveau : il est au cœur de la rhétorique qui défend le concept de « racisme anti-blancs ».

À la sortie du film Black Panther en février 2018, le collectif Mwasi organisait une projection de la production Marvel en toute « non mixité » : seules les personnes dites racisées y étaient conviées. Une démarche âprement dénoncée par la LICRA, qui l’a aussitôt apparentée à une forme d’exclusion raciale raciste. Ne faut-il pas après tout lutter contre toutes les formes de racisme, peu importe la prétendue couleur de l’individu ou du collectif ainsi discriminé ?

Aux origines du racisme anti-blancs

Il est intéressant de retracer les origines de ce concept, en ce que cette forme de « racisme inversé » n’est pas dénuée d’une certaine coloration idéologique et politique. Cette thèse, initialement dénommée « racisme anti-Français » a en effet été développée en 1978 par des dirigeants du Front National, dont son fondateur qui condamnait en 1985 à la télévision « tous les racismes, y compris bien sûr et surtout, le racisme anti-Français ». Quelques années plus tard, l’idée est reprise, avec plus ou moins de conscience de ce qu’elle charrie d’histoire, par des personnalités politiques réputées appartenir à des courants « modérés ».

Remontons effectivement encore un peu plus loin. Dans une tribune du Monde publiée en 2012, l’historien Gérard Noiriel et le sociologue Stéphane Beaud expliquent que « si le FN peut revendiquer la paternité de la formule, il n’a pas inventé la rhétorique qui la sous-tend. Celle-ci a été forgée au début de la IIIe République, et a servi au départ à alimenter l’antisémitisme ». La plume d’Édouard Drumont inversait ainsi dans la France juive (1886) « les rapports de domination entre majorité (« nous, Français ») et minorité (« eux, les juifs ») » en argumentant que les Français n’osaient pas se plaindre des violences dont ils auraient été victimes à cause de la peur.

Mais qu’est-ce qu’on entend par racisme ?

Le site http://egalitecontreracisme.fr (lancé à l’initiative du Défenseur des droits) définit le racisme comme suit : « Le racisme se traduit par des propos, des comportements ou des violences à l’égard d’une personne en raison de son origine ou de sa religion, vraie ou supposée ». Partant de cette définition, on pourrait tout à fait considérer qu’une personne noire puisse se montrer raciste avec une personne blanche, ce qui caractériserait ledit « racisme anti-blancs ».

Mais l’acception est incomplète. En effet, elle ne prend pas en compte une autre dimension toute aussi sinon plus importante de ce qu’est le racisme. Dimension développée par Maxime Cervulle, maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris 8, invité par Grace Ly et Rokhaya Diallo dans leur podcast « Kiffe ta race » :

« Le racisme, c’est à la fois des atteintes symboliques, qui se manifestent dans le langage, avec l’injure par exemple, et c’est aussi des désavantages structurels : par exemple les difficultés d’accès au logement, à l’emploi, le fait de ne pas avoir un traitement administratif équitable ».

Ainsi, le « racisme anti-blancs » ne repose que sur une seule de ces deux dimensions : les atteintes symboliques. Grace Ly complète ce propos en mettant en opposition deux formes de racisme. Il y a d’une part le racisme moral, qui peut viser les Blancs, et d’autre part le racisme politique, qui ne les concerne pas (tout au moins dans la position de victime) : « C’est toujours blessant d’être renvoyé à sa couleur de peau, à son origine, de se sentir exclu. Mais ça ne crée pas des discriminations sur le plan économique ou social, et on ne souffre pas de la même manière que d’autres discriminations beaucoup plus systémiques liées à l’organisation de notre société ».

Si l’on parle de racisme dans ce qu’il qualifie réellement, avec ses rapports sociaux, économiques et politiques, disons-le une fois pour toutes : le « racisme anti-blancs » n’existe pas en tant que fait social massif de discrimination portant impact sur la condition socio-économique des personnes blanches. En France comme aux États-Unis, les blancs ne sont pas, à l’échelle macro, en minorité. Ils ne souffrent pas les maux des populations racisées à l’appui de leurs origines, réelles ou supposées. Tel est le fondement du fameux « privilège blanc », exposé par Virginie Despentes dans sa lettre adressée « à mes amis blancs qui ne voient pas où est le problème… ».

Exclusion n’est pas racisme

Est-ce qu’il est juste que le 29 mars 2016, la Cour d’Appel de Lyon condamne à trois mois de prison ferme Monsieur Hakan O. pour injures à caractère racial après avoir qualifié Monsieur Christian D. de « sale Français, sale Blanc » ? Oui. Est-ce raciste d’exclure les blancs d’une séance et d’un débat au cinéma ? Non. Parmi les pratiques qui s’apparentent à de l’exclusion, certaines sont condamnables en ce qu’elles diffusent une idéologie de haine et de clivage entre des groupes sociaux, mais d’autres n’ont pas cette intentionnalité et doivent être distinguées.

On peut dès lors s’interroger sur le cas du festival Nyansapo. Organisé en juillet 2017 par le collectif Mwasi, ce festival se réclamant afro-féministe se voulait ouvert à toutes et à tous… Sauf certains ateliers qui réservés aux femmes noires. Lancée par l’extrême droite, puis relayée par la LICRA, la polémique a enflé jusqu’à ce que la maire de Paris se prononce sur Twitter pour « demander l’interdiction du festival » en se réservant « le droit de poursuivre les initiateurs de ce festival pour discrimination ».

L’évènement a finalement été maintenu, mais l’organisation de ces ateliers non mixtes ont été autorisés seulement dans « un cadre strictement privé » (ce qui était en réalité déjà prévu à l’origine par les organisatrices). Si, concernant l’espace public, la tenue de ce type de manifestation réservée aux non-blancs a raison de faire débat car l’espace public se doit d’être public, une chose n’est pas moins sûre : elle ne peut pas être taxée de raciste. Pas plus que le mouvement Black lives matter ne dénigre « les autres » vies humaines. Chaque vie compte… Mais le système ne les étouffe pas toutes sous son genou.

Valentine Poisson

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